mercredi 12 novembre 2014

La mentalité du complotisme

Le propre de la découverte est de subsumer du caché, de le mettre à jour. Ce qui change avec le complotisme, c'est qu'il estime que le caché est destiné à rester tel, ce qui implique par ailleurs une conception du réel figée, dans laquelle si le caché est immuable, il est aussi destiné à demeurer secret. 
Pourquoi? Parce qu'il ne peut être utilisé que par des personnages supérieurs, dont la méchanceté (les amenant à perpétrer des complots) ne peut qu'être corrélée avec l'impunité. Normal : leur supériorité en est leur garantie. 
Le complotisme est une interprétation simpliste qui surgit par temps de crise pour expliquer la crise à ceux qui en sont les victimes. Problème : la crise ayant pour effet de détruire, les premières victimes de la crise sont les plus détruites. Or ce sont elles qui doivent aussi et cependant résoudre les effets de la crise.
Elles ne le peuvent. Plus on est dominé, moins l'on se trouve en mesure d'empêcher la domination. Du coup, le complotisme surgit comme substitut à l'explication fouillée, vraie ou fausse, qui reconnaît que l'explication pèche toujours par le manque de visibilité des principes et que le propre de la connaissance est de révéler ce qui est caché et fait défaut.
Au contraire, le complotisme sert à empêcher la révélation (du caché vers le visible), qui nécessite beaucoup d'effort et de technique, en faisant croire que cet effort est inutile et qu'à la limite, ce serait un luxe de sophistications inutile. D'où la haine qui accompagne les complotistes à l'encontre des savants : non seulement ces snobs ne servent à rien; mais en plus, ils se la jouent et font beaucoup de bruit avec pas grand chose.
L’obscurantisme qui accompagne le complotisme s'explique par le fait que tout déploiement de savoir ressortit du luxe superfétatoire. La connaissance qui définit le complotisme n'est pas tant inutile que secondaire. Il a y bien quelque chose à connaître, mais, outre que c'est un bagage assez frustre, si l'on sait éviter les complications du snobisme, cette connaissance se frotte à son inutilité fondamentale.
Ce n'est pas tant, comme chez Descartes, que la science humaine soit nécessairement limitée par rapport à des choses que Dieu, lui, connaît; que le fait que cette science ne peut pas connaître l'essentiel, et que ce qu'elle peut connaître se limite à une liste de bagatelles au final assez dérisoires. A ce titre, les savants sont ces cuistres qui veulent briller socialement en faisant croire qu'ils s'attachent à résoudre des questions essentielles.
Le complotiste lui ne perd pas son temps avec ces illusions et s'attache à son problème : sa connaissance est nécessairement amenée à bégayer, puisque, dans cette mentalité, on ne peut jamais que montrer du doigt, tout en en restant à ce stade négatif. Si la connaissance est négative, plus qu’impossible, c'est parce que le plus important est d'échapper à la domination en faisant semblant de se retirer du jeu politique et social.
Pourquoi peut-on connaître quelque chose d'essentiel, démentant l’obscurantisme complotiste? Pourquoi a-t-on accès au positif plus qu'au négatif? Parce que connaître, c'est accroître en termes de connaissance (toucher à la dimension essentielle du réel : le malléable aux propriétés extensibles). D'où : toute approche qui parie sur la stabilité de la connaissance s'avère-t-elle fausse?
Cas des systèmes intelligents, comme le cartésianisme, qui oscille entre les critères cachés et fluctuants de la connaissance (entre l'inconnaissable et le connaissable). Mais le complotisme est simplification en ce qu'il supprime le critère de difficulté de ces approches hybrides comme le cartésianisme pour ne retenir que le plus facile. La facilité du complotisme se rapporte en morale au vice de la paresse.
Si connaître n'est pas primordial, c'est que la connaissance dont il s'agit reste négative et pessimiste.
Négative : on ne peut que dénoncer un caché dont il n'y a rien d'autre à connaître sinon qu'il est maléfique - d'où : la connaissance est aussi limitée qu’indirectement maléfique
Pessimiste : il ne sert à rien de s'attacher à l'effort noble de connaissance, qui par ailleurs existe, puisque cet effort débouche sur le constat d'impuissance à changer l'essentiel caché et inconnaissable.
Que reste-t-il comme autre option, sinon de passer son temps à s’amuser en privé, puisqu'au plus conséquent de l’inconséquent, il n'y a rien à faire d'autre que d’accepter l’ordre des choses mauvais? Pas de Dieu bienfaisant; seule la possibilité de vivre à côté du mal caché, en espérant passer entre les gouttes.
C'est typiquement une mentalité de dominé qui s'exprime là et qui indique que le complotisme, qu'il soit vécu ou propagé, actif ou passif, prospère par temps de crise. Que la crise s'estompe et laisse place aux innovations, et la  connaissance retrouvera son lustre. Le complotisme rentrera dans sa boîte, jusqu'à ce qu'il sorte pour une prochaine crise. Son rôle ne peut qu'être épisodique et illusoire.

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