jeudi 18 décembre 2014

La différence du réel

Si tant clame qu'il n'y a de quelque chose que le réel, c'est qu'il n'y a que le réel qui soit tel. Entendons-nous bien : ce qu'on nomme réel désigne seulement le physique ou l'être. 
L'hypothèse de l’Être n'ayant jamais été étayée de quelque manière que ce soit, elle peut seulement se targuer de faire fonctionner l'être. Rien de plus.
Si l'on suit le schéma selon lequel il n'y a d'être que constaté, qu'en vient-on à déduire? S'il s'avère logique que la notion d'être suscite son complément, ainsi qu’en témoigne l'étymologie de réel, ce complément qui ne peut exister, n'en déplaise à Mach ou à Rosset, rien n'indique que l’Être constitue ce complément, ou plutôt : ce n'est pas parce qu'il se pose en complément qu'il est bien posé (ou bien défini).
Le grand mérite de l'appellation réel est de laisser entendre qu'il existe quelque chose de différent à l'être au sein de l'être, qui ne peut davantage s'avérer être de l’Être. Quant au reproche que l'on adresse au langage, selon lequel le langage ne peut que dire l'être, c'est se payer de mots : l'être peut dire plus qu'il n'est, puisqu'il peut exprimer l’Être, et d'autres alternatives qui sortent de ses limites, comme des sentiers rebattus.
Si le langage peut sortir de l'être, c'est qu’il existe autre chose que de l'être, ce qui confère son intérêt au mot de réel : il permet de rester dans l'être tout en rappelant que le réel consiste dans autre chose que l'être. 
Le constat constitue une révolution par rapport à la mentalité transcendantaliste, qui a parié, depuis l’avènement de l'homme, sur la projection et l’homogénéité : en un mot, sur l’Être. 
Évidemment, il convient de ne pas sombrer dans l’erreur de Clément Rosset, qui aura amorcé une révolution pour en faire une contre-révolution philosophique : faisant croire, sous une forme de déni postspinoziste caractéristique de Descartes, que le réel peut être différent de l'être seulement pour verser dans le non-être.
Raisonnement rebattu, qui fait de l'usage de réel un moyen de réhabiliter l'atavique nihilisme et qui ne crée rien de neuf, mais fait de l'anticréatif (du stéréotypé) avec un terme empreint d'un potentiel créatif certain. Trop imbibé de Nietzsche, Rosset a cru sortir des contradictions de son philosophe trop adulé en versant dans un nihilisme assumé et cohérent, qui ne peut qu'aboutir au déni (le nihilisme étant incohérent).
D'un point de vue logique, le réel étant incomplet, soit son complément se situe à la suite; soit il se tient en lui. 
- Dans le premier cas, cet à-côté ne peut aboutir qu'en transcendance, suite à l'impossibilité d'expliquer la fin de tout domaine (y compris le complément) sans  trouver une hypothèse plausible, quoique indéfinissable. 
- Dans le second cas, il n'est pas possible que ce qui se trouve au cœur de l'être soit de même nature (ce qui exclut l'hypothèse de l’Être); comme il n'est pas possible que l'immanence soit une possibilité recevable, puisqu'elle ne fait qu'établir une variante de l'être sans complément.
Dès lors, si le réel est plus que l'être, tout en restant au cœur de l'être, c'est que le complément de l'être ne lui est immanent qu'en se montrant différent. Ce qui remplace le transcendant n'est ni immanent, ni méta-physique, mais procède d'une texture qui résout le problème de l'infini tout en parvenant à la définir. 
Du coup, en proposant une résolution (à titre d'hypothèse) de l'infini, il explique pourquoi la perception du complément est trop assujettie à l'idée selon laquelle le complément ne pourrait être façonné que sur le même modèle que l'être. Si l'être est insuffisant, c'est que l’Être est son complément : tel est le raisonnement. Rien ne vient pourtant indiquer que ce genre de raisonnement soit cohérent : outre que son indéfinition rend sa véracité suspecte, la configuration différentielle est plus probable autant que probante.
Cette différence, dont le complément doit être connexe et non externe, implique en outre qu'elle puisse expliquer sa justesse par sa capacité à mieux définir ce qui auparavant se trouvait défini négativement. Je veux parler de l'infini. Si l’infini se trouve défini positivement, ce sera le signe d'un progrès cardinal par rapport à ce que le transcendantalisme n'a pas apporté (cela ne signifie pas que ce type de progrès est définitif, mais qu’il est une étape dans un effort constant, auquel la notion de malléable a enlevé l'illusion de fin ou de terme).

lundi 8 décembre 2014

Redéfinir l'Etre

Comment se fait-il que l’Être soit indéfinissable, de Platon à Heidegger? Il s'agit d'un défaut de conception, qui pousse l'observateur à définir le milieu qui l'entoure comme étant de l'être. Dire que son environnement, c'est de l'être, c'est constater, ainsi qu’en témoigne cette phrase, la prégnance de ce terme dans le langage. L'être signifie quelque chose d'ordonné, quelque chose qui n'est pas chaotique et qui est fini. 
Ces deux caractéristiques n'existeraient pas sans une troisième. L'être ne peut se manifester seul, du fait de son incomplétude. Il faut donc lui trouver un complément. 
On peut sombrer dans la revendication irrationaliste selon Mach repris par Rosset et proposer comme définition : "Être unilatéral dont le complément en miroir n'existe pas." Mais cette définition ne tient pas. Incomplète, elle oblige à estimer que l'ordre du monde tient grâce au désordre inexplicable et supérieur.
Cette option est plus faible que celle de la métaphysique rénovée, d'inspiration cartésienne, selon laquelle Dieu vient combler ce qui n'est pas de l'être. Ce faisant, ce Dieu est un Être métaphysique, qui se veut parfait, sauf qu'il est incompréhensible. Dieu a remplacé le néant, en en reprenant la caractéristique d'incompréhensible. Ce Dieu-là est aussi impossible à critiquer dans son sens littéral que facile à séduire, puisqu'il réussit le prodige d'expliquer l'inexplicable.
L'être se trouve expliqué quant à lui soit par :
a) le néant;
b) l’Être.

a) Dans le premier cas, l'antagonisme est évident, puisque un des paronymes de néant serait non-être. Si le néant est contradictions, le miracle de l'être consiste à être ordre hasardeux quoique rigoureux.
b) Dans le deuxième cas, l’Être s'obtient en prolongement de l'être, bien qu'il ne puisse être défini. Si l'ontologie est le discours fort de cette hypothèse, il reste minoritaire parce qu'il ne parvient à se définir autrement que par l'hypothèse selon laquelle le complément existerait en prolongement.

D'un point de vue logique, cette hypothèse n’est pas possible, car elle peine à expliquer que cet Être reste invisible malgré les recherches de tant d'esprits perspicaces.
Le plus probable est que l'hypothèse de l’Être, en termes ontologiques et rationalistes, de Dieu selon la terminologie religieuse plus accessible, a servi à recouvrir le danger que contenait la définition du réel comme être fini + néant, dont la structure en antagonisme promet de finir en destruction. 
Pour éviter cette catastrophe, qui est l'apocalypse annoncée par les religieux de tous poils, notamment chez les monothéistes, on a recouvert la solution immédiate, quoique destructrice, de l'alternative Être/Dieu (au sein du transcendantalisme), sauf que cette explication souffre d'un problème majeur, quoique occulté : elle parvient bien à faire fonctionner l'être, mais elle ne peut le définir.
Elle est pragmatique, quoiqu'elle passe pour théorique. En théorie, quand on ne parvient à définir une réalité, on en infère qu'elle n'existe pas. Ce qui n'existe pas, comme l'enseigne Platon, n'est pas rien, mais quelque chose d'autre. Ce n'est pas parce que l’Être n'existe pas que rien n'existe pour autant. Et ce n'est pas parce que rien n'est pas quelque chose qu'il ne peut être quelque chose d'autre.
Le paradoxe étant que rien ne peut être que quelque chose, en témoigne son inscription dans le langage. Rien est autre, comme première manifestation. Pourquoi l'autre n'est-il pas compris, puisque si l’autre était fondamental, il permettrait de définir sans difficulté le changement?
C'est donc qu’il y a une réalité fondamentale commune à l'être et l'autre. C'est du fait de cette réalité simple que toute la philosophie s'est fourvoyée, non pas parce qu'elle a refusé de voir l'évidence, mais parce que l'évidence apparaît seulement une fois que la texture du réel révèle qu'il ne peut être envisagé en termes d'être.
L'effondrement de cette probabilité laisse ressortir le nihilisme originel et le fait qu'il avait été constamment dissimulé par l'être et ses différentes hypothèses afférentes (comme les deux principales de la philosophie, l'ontologie et la métaphysique). Mais si rien signifie encore quelque chose, et si ce qu’il signifie n'est ni de l'être, ni de l'autre, si la philosophie n'a sur ce point guère évolué vers davantage de précision depuis Platon,c'est parce qu’il convient de sortir de cette perspective.
Nous sommes au carrefour le plus important de la théorie humaine. Jusqu'alors, sous des formes diverses, nous étions transcendantalistes. Maintenant que le transcendantalisme s'est effondré, parce qu'il ne correspond plus à notre vision de la réalité, il faut rechercher quelle est la définition de l’Être. Ses synonymes? L'autre, et surtout, rien, comme approche de la réalité différente de ce qui émarge dans la catégorie de l'être.