vendredi 30 mai 2014

De l'immortalité de l'âne

Le sujet de l'immortalité de l'âme est à la mode, sur le tapis des préoccupations, parce que les représentations religieuses connues sont devenues obsolètes depuis deux siècles. Tant que le religieux pouvait servir de socle à la connaissance, ce sujet n'existait pas vraiment.
Non seulement l'âme était immortelle (ce qui relève d'un certain pléonasme), mais cette immortalité se trouvait expliquée avec précision et détail, autour de la résurrection : quand le Jugement dernier interviendra, l'âme sera admise auprès de Dieu, qu'elle connaisse les châtiments de l'enfer ou qu'elle accède au paradis.
Sans poser la question indécise du sort de l'âme pendant ce laps de temps, qui de toute façon compte peu au regard de l'éternité,  il n'est pas assez remarqué, du fait du chamboulement de toutes les valeurs, que les découverts scientifique ne remettent pas en question l'immortalité de l'âme.
Elles attaquent la conception que l'on se fait de l'âme. L'effondrement du transcendantalisme a été provoqué par la science moderne comme la outre d'eau fait déborder le vase et l'allumette révoque l'incendie. Ce n'était pas cette découverte qui avait provoqué le phénomène; c'était le symptôme déclencheur.
La science moderne ne propose que des progrès incertains et transitoires. Ils ne proposent rien de positif, seulement du négatif. Le principal étant moins ce qu'ils apportent de scientifique, ce qui constitue pourtant leur propos et leur fin - que leur impact négatif (ils sont ce qui finit de détruire le transcendantalisme, et peuvent de ce fait passer pour la cause, quand ils n'en sont qu'une cause secondaire et peut-être même un effet tardif, si l'on se souvient que cette révolution est plus inspirée de ce qu'elle détruit qu'elle n'en est la cause).
Demeure la question de fond : l'immortalité de l'âme. La thèse générale de ceux qui se déclarent, au sens large des variantes, matérialistes, ne s'avère guère solide : on ne voit pas comment le vide pourrait exister de manière positive.
Le nihilisme ne vaut donc pas de manière conséquente. Cela a pour incidence majeure de ne pouvoir détruire l'existence de ce qui a été. Par conséquent, l'immortalité de l'âme vaut dans la mesure où toutes choses sont immortelles. Qu'est alors l'immortalité spécifique de l'âme une fois qu'on aura défini l'immortalité?
C'est que ce qui est ne peut avoir été et que ce qui a été est. A la fin du déroulement temporel, cette conséquence logique a pour incidence majeure que tous les instants sont comme si ce qu'on nomme présent acquérait une valeur d'éternité. De ce point de vue ceux qui louent le présent comme seul présence ont déformé l'idée selon laquelle ce qui est ne peut exister que comme éternité.
Mais alors l'immortalité qui correspondrait à la réunification et la correspondance de tous les instants est une évidence - et toutes les théories qui estiment que seul existe le présent, comme l'affirmation que le non-être existe, sont des déformations et des faussetés, au sens où ce qui est faux est ce qui se révèle déformé.
L'immortalité de l'âme ne peut disparaître des conceptions humaines et la défaite programmatique et inexorable des théories nihilistes vient du fait que les périodes de crise ne semblent qu'en apparence soutenir les inclinations nihilistes.
C'est ce qui peut sembler être le cas avec les postmodernes et autres immanentistes terminaux , comme un Deleuze, qui rêve de se mouvoir dans l'immanence ou un Rosset qui rêve d'accéder à la plénitude du présent. L'inverse se produit : la crise fait ressortir la déraison et l'inconséquence de tout ce qui peut relever des possibles nihilistes.
La crise loin d'installer le nihilisme fait apparaître de nouvelles formes de religieux classique (qui lient le réel). Ces nouvelles formes surgissent parce que le réel s'est agrandi dans un sens physique et que la conception du réel a besoin de s'ajuster aux nouvelles bornes du réel.

L'immortalité de l'âme n'a pas changé. Ce qui change, c'est l'explication qu'on en donne. Que ce qui est reste est une chose; mais que sa représentation change à l'occasion du réajustement implique que l'ancienne explication, monothéiste, ne parle plus aux oreilles des contemporains. Le monothéisme expliquait que l'âme après la mort de son enveloppe corporelle ne fait que rejoindre son lieu.
L'identité est homogène ente l'âme et Dieu. L'éternité est la réconciliation de l'homogénéité. La nouvelle hypothèse introduit la différence entre l'être et l'autre élément de réel que je nomme malléable et que le nihilisme déforme en néant ou non-être. L'immortalité n'est plus tant le fait de retrouver son identité que le fait de réconcilier ce qui durant le temps de l'existence se trouve en disjonction.
L'étant comme dirait Heidegger se trouve plongé unilatéralement dans l'être. Certes, l'être se trouve imprégné de malléable différent, mais il n'a pas accès à l'explication de cette différence du point de vue de l'être. Ce qui est différent du point de vue de l'être se trouve uni du point de vue de l'immortel. L'immortel consiste moins à retrouver un état de plénitude qu'à créer un état dont le propre est de lier. Etre immortel, c'est donc lier les différents.

jeudi 22 mai 2014

Descartes sur table

L’approche de Descartes selon laquelle le réel serait interallié au sens d'uni par des relations d’action ou de passion, que tout acte implique en l’autre sens la passion, cette conception fonctionne dans un réel qui opère sur un mode continu.
Ce schéma a l'avantage de proposer un mode d'action du réel qui correspond à la réalité physique, selon laquelle le donné est posé une fois pour toutes, mais elle n'explique pas l'existence cardinale de la créativité. Le réel ainsi conçu fonctionne sur le même plan.
Problème : ce schéma déboucherait sur son épuisement. Le réel s'il ne change pas ne peut maintenir ce mouvement perpétuel action/passion sans qu'il soit mû par une cause qui non seulement lui soit étrangère, mais lui est différente.
Il y a rupture entre le monde homogène et cette cause hétérogène. Chez Descartes, cette rupture est reconnue, mais elle est décrétée inexplicable. Elle se trouve plus large d'interprétation que la vision freudienne du conscient/inconscient, qui situe le problème au niveau seulement de l'homme et se contente de surcroît de décider que ce qui n'est pas conscient relève du négatif de l'inconscient.
Le travail de positivité est ainsi favorable à l'homme dans la mesure où la négativité lui est supérieure. Le supérieur serait négatif, ce qui rend le supérieur inexplicable, alors que ce supérieur n'est pas étranger au domaine. Descartes propose lui que le domaine soit résolu, mais de manière inexplicable : son univers quand il est épuisé est remonté par le deus ex machina
Si l'on ne peut expliquer, l'effectivité de la résolution existe (alors que chez Freud, elle se trouve inutile du point de vue de la thérapie psychanalytique centrée sur le patient et du matérialisme absurde, selon lequel le monde est absurde hors du domaine de la prise de conscience individuelle).
Chez Descartes, le négatif est transcendant et irrationnel. A la limite, on ne sait pas trop si l'Etre transcende l'être d'une manière qui demeure homogène ou si Descartes ne ménage pas la possibilité de la différence transcendantale tout en n'allant pas plus loin dans l'effort de rénovation, qui le ferait sortir du cadre métaphysique (penser en termes de fini le réel). L'homogénéité chez Descartes est incomplète et se trouve complétée par l'irrationnel; chez Freud, cette même homogénéité incomplète (la conscience) est complétée par l'absurde.
Cette incomplétude implique que le schéma cartésien ait de la valeur de manière entropique, dans le monde physique, mais qu'il ne puisse expliquer le fonctionnement du réel. Ce qui manque est le principal : la cause qui provoque les réactions d'action et de passion. Qu'est-ce qui explique que l'actif soit supérieur au passif. Pourquoi cette réciprocité duelle qui caractérise l'échange de type physique?
Descartes répondrait : Dieu a donné ce mode de fonctionnement dans l'ordre physique, mais on ne peut l'expliquer. C'est pourtant à cause de cette jachère que perdure d'un point de vue philosophique des positions comme le freudisme, soit la tentation de se replier sur l'homme, faute de pouvoir expliquer le réel. Descartes jure que l'homogénéité est mue par une force étrangère, sans chercher à aller plus loin.
Il passe à côté de la question cardinale : qu'est-ce que ce qu'il nomme Dieu? Comment se fait-il que dans son schéma, Dieu comme cause inexplicable soit supérieur et qu'il faille de ce fait revenir à la cause à l'inverse du schéma temporel qui indique que la cause est inférieure à son effet, et non l'inverse? Qu'est-ce qui peut se montrer supérieur à l'actif et pourquoi existe-t-il du passif?
Le passif subit au sens où il est l'élément qui permet la poursuite de l'être tel qu'il est. Sans passif, l'être ne perdurerait pas. Mais qu'est-ce qui agit dans l'être? Celui qui agit dans l'être, selon la logique propre à l'être, c'est celui qui domine. Encore un élément qui indique que le fini est soumis au principe de destruction.
Le dominateur ne peut que détruire le dominé (ce qui, au passage, ruine les prétentions politiques du nationalisme). Ce qui ruine le fini, c'est la domination : c'est le fait que le réel puisse être dominé. Tout fini ne peut que mener à la domination, puisque l'ensemble peut être décompter et établi. Le seul moyen pour que le système échappe à la destruction est donc de recourir à l'infini. C'est aussi la définition du réel et, accessoirement, le seul moyen pour que le réel puisse comporter une possibilité, non de complétude, mais de pérennité (viabilité).
L'explication que donne Descartes via le traité des passions est moins une théorie de la psychologie humaine qu'une théorie du fonctionnement du réel, si l'on précise que le réel que Descartes envisage est le seul domaine du fini. Raison pour laquelle son traité ne connut pas de postérité aussi importante que les Méditations métaphysiques : loin de renouveler en profondeur la philosophie, Descartes, dans son dernier écrit, se contente de théoriser le fonctionnement du physique.
Cette critique de Descartes concerne peut-être l'ensemble de son oeuvre : d'avoir resserré la pensée au fini en rejetant l'infini comme de l'indéfini mal compris. L'actif et le passif sont des clés restrictives de la compréhension du monde réel, parce qu'aussi pertinents soient-ils, ils ne concernent jamais quelle fini et ils tient une croix sur l'infini. C'est une unité réductrice au sens où elle ne prend pas en compte tout le réel et qu'elle laisse de côté la question la plus importante (ce qui est, plus que mal vu, mal considéré) : l'infini.
C'est précisément du côté de l'infini qu'il convient de se pencher si l'on veut comprendre pourquoi l'ordre fini est instauré selon le pôle de l'action/passion. Sinon, l'on en arrive à un déficit d'information et d'explication. De compréhension, aussi. L'action domine la passion, parce qu'elle est mise en branle par une force qui lui est supérieure. Si elle n'était pas provoquée, elle expliquerait l'infini. L'infini meut l'action, pour parler comme Aristote, parce qu'elle a besoin d'un moyen de sélection au sein de l'être. 
Si l'être était seulement passivité, il s'étiolerait plus vite. La domination par l'action est le moyen de maintenir cet être dans la plénitude finie. La supériorité de la domination est relative : elle est supérieure au passif, mais elle est relative - circonscrite à l'être. L'actif ne peut donc dominer que si la domination dépend de la situation infinie du réel. Car seul l'infini peut perdurer véritablement. Qu'est-ce que cet infini?
Ce n'est pas comme on le présente le fait de s'assujettir de l'espace (il serait étendu partout, voire serait omniscient au point de connaître à l'avance comment va être ce qui sera seulement et n'est pas encore). L'infini se présente plutôt comme ce qui est toujours l'instant, soit ce qui est capable de pérenniser l'instant et qui accompagne l'instant.
L'infini est ce qui meut l'instant, pas ce qui poursuivrait de manière complémentaire l'instant, non en comblant ce qui n'est pas l'instant, et qui serait de ce fait quelque chose d'autre, qu'on appelle Dieu ou néant, mais en constatant que l'instant n'est pas seulement constitué d'être, mais qu'il comporte en lui une distinction entre l'être et un élément qui est différent de l'être et que les nihilistes nomment néant à défaut de mieux le caractériser.
La déformation de ce que représente l'instant tend à situer hors de l'instant ce qui n'est pas de l'être, et à le prendre pour ce qu'il n'est pas, bien que le vocabulaire lié à l'être soit capable avec difficulté de saisir cette différence, qui est la différence : soit de l'Etre, soit du non-être, bien que ces deux propositions de définition aboutissent toutes les deux à situer à l'extérieur la différence, soit à mal comprendre que l'espace n'est pas un élément qui préexiste à l'instant, mais qu'ils en sont l'expression spatio-temporelle.
Raison pour laquelle la déformation intervient : parce que l'infini est compris en termes d'espace et de temps, depuis le lieu de instant prolongé, alors que l'infini devrait se comprendre en termes de différence, à l'intérieur de l'instant. De ce fait, la notion de complétude n'a pas de sens : l'infini ne complète pas le fini de manière complète, mais de façon pérenne.
La complémentarité conviendrait mieux, car la complétude s'appréhende en termes d'espace et de temps, quand cette notion n'a pas d'effectivité réelle, puisqu'elle n'est valable que dans l'ordre du fini. L'infini n'est pas ce qui comble, mais ce qui valide. Il convient de concevoir dans le même objet ce que l'on tend par déformation à séparer en plusieurs objets.
La différence essentielle dans le réel entre malléable et être ne supporte pas la séparation, à l'inverse de la séparation qui affecte une multitude d'objets dans l'être. Cette multitude est réputée à tort infinie, au sens où l'être est fini, ainsi que le comprend Aristote, mais qu'il est extensible, et en ce sens infini (extensibilité ou malléabilité = infini). L'infini est une idée mal comprise.
La catégorie qu'isole Descartes représente donc une catégorie philosophie étrange, puisque la rénovation que Descartes entreprend de la philosophie, sous un prisme métaphysique, aboutit en matière morale à envisager la philosophie sous un jour presque réduit au scientifique et à la physique. Descartes qui a développé une nouvelle métaphysique, dont le propre est d'être circonscrite à l'être, finit par développer une philosophie intrigante dont le but est de s'en tenir à la seule connaissance scientifique.
Son ouvrage laisse une impression d'inachevé, non parce qu'il est de qualité critiquable, mais parce qu'il tend à détruire la possibilité de connaissance philosophique dès qu'on en vient à aborder tout sujet interne à l'être. La métaphysique se révèle réduite à l'interrogation sur l'être. Aristote refusait cette question. Descartes l'accepte, mais à condition de considérer qu'il y a répondu par  sa réforme et que, de ce fait, le projet philosophique est terminé.
L'inachèvement philosophique, qui empêche Descartes de parler de fin de la philosophie, est conditionné à la révélation religieuse, qui est supérieure à la raison et qui l'ordonne. De ce fait, l'inachèvement philosophique viendrait moins d'innovations philosophiques que de l'irrationalisme religieux. On peut se demander dans quelle mesure la philosophie ne sert pas à chapeauter la science pour Descartes, qui reconnaît qu'une théorie de l'être fini est nécessaire, mais au service du scientifique, pas avec l'idée que l'être étant fini, il est incomplet du point de vue de la connaissance.
Pour Descartes, l'être se trouve certes fini et incomplet, mais il est complété par le divin, qui, étant irrationnel, ne peut être connu (compris par l'entendement). C'est en cela que le schéma des passions selon Descartes constitue un blocage. Ce qui, pour un partisan de la possibilité de connaître la partie de réel qui n'est pas de l'être fini, relève de l'obscurantisme, pour le métaphysicien, partisan lui de cet horizon d'inconnaissable, constitue l'évidence.
Le seul moyen de lancer la science moderne consiste à ce que la métaphysique soit le substrat scientifique qui peut être découvert rapidement et qui a besoin d'aggiornamento de temps à autre. La différence entre la métaphysique et l'ontologie (comme expression philosophique du transcendantalisme) tient à ce que l'ontologie est le courant qui trouve possible de connaître l'inconnu - quand le métaphysique se caractérise précisément par le fait de considérer qu'il existe dans le réel un élément de radicale différence qui ne peut être connu et qui se présente comme irrationnel.
Le paradoxe, qui n'est qu'apparent, tient à ce que la position rationaliste (Dieu à notre image) en vienne à soutenir l'option selon laquelle le complément au fini lui est de texture identique. Du coup, l'être se trouve complété par l'Etre, qui, tout comme son synonyme purement négatif l'infini, est indéfinissable. Et pour cause : il est indéfinissable parce qu'il est mal défini. Alors que l'autre option, dont la métaphysique, reconnaît la différence entre l'être et le restant, parce qu'elle refuse de rendre le restant connaissable.
Du coup, pour être inconnaissable, il doit être antithétique, et radicalement. Si la négativité pure dont se prévaut le nihilisme sous la forme du non-être (de ce que Descartes appelle le néant) rend possible le blocage, elle est une erreur qui charrie une vérité. La vérité du nihilisme, c'est qu'il reconnaît la différence ente deux réels. Son problème, c'est qu'il bloque la connaissance jusqu'à la scléroser (cas de la métaphysique hybride, qui finit en scolastique sclérosée).
Comment parvient-il à la vérité seconde alors qu'il charrie l'erreur principale? C'est que le nihilisme possède comme vertu importante de vouloir connaître à condition que la connaissance soit figée une fois pour toutes. La rigueur immédiate du nihilisme s'accompagne d'une reconnaissance de la différence qualitative, parce que le nihilisme cherche à savoir la vérité immédiate. Puis il s'égare parce qu'il ne cherche pas à approfondir ce qui n'est pas fini et qu'il définit le différent comme la négation de ce qui est fini.

mardi 6 mai 2014

Le vivant et l’artificiel

Maintenant que l’on entend moins parler du mariage pour tous, nous pouvons essayer de nous concentrer sur ce que cette mode signifie, au-delà de la manipulation visant pour les pseudo-socialistes au pouvoir à diviser pour régner.
Si c’était seulement une manoeuvre, elle n’aurait pas reçu autant d’attention, ni de contestation.
Et si c’était seulement une mesure de changement social, elle n’aurait pas été autant contestée. Le social n’est pas l’élément que l’on conteste le plus. Pour preuve, les manifestations, que l’on a essayé de travestir en extrémisme, comme si des millions de Français étaient des intégristes ou des fachos, se sont appuyées sur le religieux.
Le changement qu'implique le mariage pour tous n’est pas tant d’orde social que religieux. Comment une mesure aussi minoritaire (qui ne concerne qu’une ultraminorité de volontaires parmi la petite minorité d’homosexuels) peut-elle acquérir cette portée, si ce n’est parce qu’elle comporte une dimension qui excède de loin sa désignation comme "mariage pour tous"?
Les mesures connexes qui lui sont associées, comme la GPA ou la PMA, indiquent qu’elle est connectée à des changements scientifiques de premier ordre. Si la GPA s’impose comme une possibilité pour la science de manipuler le vivant à des fins commerciales, que la science soit convoquée rappelle que le changement n’est pas seulement social ou politique, dans la mesure où la science est connectée à la philosophie et au religieux.
Ce qui passe pour un changement profond dans les possibilités que l’innovation scientifique offre aux technologies se trouve pris en compte par les partis religieux, parce que le changement comporte des enjeux de réflexion religieuse par rapport à ce qu’offrira le scientifique.
Pourquoi le religieux, en particulier les monothéismes, s’alarme-t-il tant de ce qui est donné par Dieu dans la nature et l’homme et que l’homme ne saurait changer (ce que remettent en question à la GPA, la PMA et le mariage pour tous)? Le mariage pour tous implique que l’on puisse utiliser des changements scientifiques pour changer la norme biologique de la mise au monde. Ce qui induirait que l’homosexualité soit prise en charge par la science.
La PMA indique la possibilité pour la science de modifier ce que la biologie considérait comme donné par l’ordre naturel ou par le divin. Quel est ce changement cardinal qu’indique la PMA? Il annonce la transformation du vivant. La science détient le privilège exorbitant de transformer le donné biologique au point qu’elle peut changer en l’ordre biologique.
L’innovation scientifique à l’oeuvre n’est pas mineure. C’est vers un homme nouveau que l’on se dirige et cette nouveauté inquiète ceux qui sentent que, derrière une mesure mineure, l’ensemble de l’ordre se trouve ébranlé, au point que la colère de Dieu soit invoqué. Les manifestants auraient-ils peur que le ciel tombe sur la tête, comme dans le passage consacré à Sodome et Gomorrhe?
Le changement qui provoque cette colère n’est pas anodin. La réaction n’est pas exagérée. La transformation du vivant a de quoi faire peur. Les changement qui ont eu lieu de mémoire sont moins importants que celui-là qui vient. 
C’est la question de la nature de l’homme qui se trouve posée. On comprend que tant de gens défilent. L’homme est à présent capable de changer le domaine du vivant. Jusqu’à maintenant, il subissait l’ordre, et c’était rassurant - jusqu’à un certain point. Il n’avait pas à changer l’ordre naturel, face à la mort en particulier. L’homme a tellement opéré de progrès dans sa connaissance biologique qu’il peut entrevoir la possibilité, non de corriger le vivant, en le soignant, mais de le transformer en profondeur?
Les avancées neurologiques et la génétique ont entrouvert des horizons insoupçonnés. Le plus important : nous n’en sommes qu’aux balbutiements, sans soupçonner ce qui arrivera. Jusqu'au jour où nos connaissances psychologiques passeront pour obsolètes et rudimentaires. Freud sera au mieux un pionnier. 
La réconciliation entre les neurosciences et la psychologie ne doit pas occulter l’aspect principal, aussi terrifiant qu’enthousiasmant : si nous changeons le vivant, notre rapport à l’existence va changer. La frontière entre le naturel et l’artificiel est en train de s’effriter.
Plus que l’approche psychologique, c’est la norme biologique qui changera, tellement que ce qu’on nomme psychologie ne sera bientôt plus que la somme de problématiques qui sont attachées au naturel, à la conscience telle qu’elle est donnée, mais qui n’aura plus de sens quand le naturel aura disparu et que tout sera devenu artificiel.
Cessons de nous inquiéter pour la GPA, le mariage pour tous, la PMA. Si les deux premiers sont des problèmes relatifs à notre époque, et si la PMA augure de promesses à court terme pour les couples, le grand changement implique que la PMA passe de manipulations limitées à des opérations d’importance.
La notion de vivant va changer. Asimov met en scène, dans les Cavernes d’acier, un duo policier composé d’un homme et d’un robot, si sophistiqué qu’il est difficile de distinguer qui est le plus intelligent entre les deux. Le danger ne tient pas au remplacement des hommes par les robots (vision bientôt réactionnaire). Le robot signifie à terme, sur des millénaires, la possibilité pour l’homme de changer le vivant, de passer pour le Frankenstein capable de réussir son entreprise.
Frankenstein échoue parce qu’à l’époque de Mary Shelley, il est inconcevable que l’homme réussisse dans cette voie sans verser dans la démesure (transformer le vivant qui a été donné, on ne sait par qui). Cette conception exprime l’infériorité de l’homme sur son donné environnemental. 
Dès que l’homme prend le pas sur le biologique, la science passe pour ce qu’elle annonce, avec une mutation de la définition que nous connaissons : la capacité qu’a l'intelligence créatrice de perfectionner la création dont elle est issue. 
Le robot n’est pas le concurrent de l’homme, mais son adjuvant. Le roman qu’aurait pu proposer Asimov concerne moins la possibilité que les hommes soient remplacés par des robots, fantasme de la peur, que la possibilité que l’homme se transforme physiquement en robot, tout en gardant sa spécificité intellectuelle.
La science est l’expression physique de la créativité humaine. L’homme va remplacer son corps en un corps artificiel, réalisé par ses soins. Imaginons l’impensable : l’homme immortel, non du fait de médicaments, mais parce que capable de remplacer des tissus naturels par des créations artificielles, non de manière définitive, mais indéfinie.
Descartes aura fait preuve de profondeur en proposant la distinction entre infini et indéfini : l’infini est cet état qu'il ne parvient à imaginer que de manière étrangère; l’indéfini nous indique que nous en restons au stade du physique.
Cette révolution est indéfinie, au sens où elle est scientifique  Mais le physique va changer. De l’intérieur, l’homme est capable de proposer une évolution artificialiste du vivant, au point que le vivant disparaîtra. La disparition du vivant n’implique pas qu’un autre état ou une autre nature vont surgir, mais que l’artificiel sera la poursuite plus performante du naturel.
L’homme est cette espèce capable de transformer le réel, au point que dans quelques millénaires, on risque de tenir notre manière de vivre à partir du donné intangible pour paresseuse.
C’est cet aspect de la science qui se trouve déjà interrogé de manière houleuse et incomprise : la connexion entre science et religieux. Les débats que suscitent les prémisses du changement dans le vivant nous montre ce qui y est religieux : l’ensemble du réel qui se trouve interrogé. Et la nouveauté qui surgit, c’est que le religieux se trouve interrogé depuis l’intérieur, depuis le point de vue fini, alors qu’auparavant, la révélation ne pouvait surgir que de l’extérieur (point de vue transcendant).
La vérité transcendantaliste implique que l’homme la reçoive, mais qu’il n’y ait pas accès. Le changement en question diffère, en ce qu'il indique que l’homme peut avoir accès au changement, puisqu’il peut changer de l’intérieur le réel. La différence tient à ce que la création humaine ne revoie pas à cette vérité parfaite et achevée, mais à une progression imparfaite, continue et inachevée.
La spécificité de l’homme dans le réel apparaît : la faculté inédite parmi les autres formes, en particulier dans le vivant, de changer le cours des choses. La conception de l’homme installé dans un environnement immuable s’écroule. L’obsolescence concerne la croyance en la passivité de l’homme face à sa condition et face au réel.
L’homme change sa condition dans la mesure où il change le cours des choses. Face aux discours soi-disant écologistes, qui s’alarment de la disparition des espèces ou du climat, il faut répondre que le réel n’est pas un donné figé, dont la dégradation entraînerait la disparition. Le réel n’est pas l’environnement (en ce sens). Le réel est créatif et mélioratif (au sens où il peut être amélioré).
Nous allons vers un réel qui sera, en quelques millénaires, profondément bouleversé, non par une action extérieure qui serait déculpabilisante, mais par la transformation radicale que va opérer l’homme; non par une intervention partielle, quoique significative (comme c’est déjà le cas); mais par le fait qu’il va recréer l’espace qu’il habite et qu’il a, littéralement, domestiqué.
Par la technologie, l’homme va façonner un environnement à sa mesure, ce qui rendra caduc, non le souci écologique, mais la peur que ce monde disparaisse et l’idée selon laquelle le réel est formé une fois pour toutes. L’évidence s’imposera, selon laquelle l’homme dispose des facultés créatrices pour mettre en place la technologie sophistiquée destinée à réagencer le réel à sa convenance.
Dans Asimov, cycle Terre et fondation, les sociétés humaines sont capables de coloniser des planètes inhabitées et d’en transformer l’atmosphère, de telle sorte qu’ils créent des lieux habitables. De nos jours, c’est un fantôme que l’imagination peut suggérer, mais que la science serait incapable de proposer. L’idée derrière cette possibilité, c’est que l’homme n’est pas créateur, mais recréateur : sa création s’effectue depuis l’intérieur. Il peut modifier totalement l’intérieur de la maison, sans être capable de construire la maison.
C’est une création continuée si l’on veut, bien que la possibilité de créer du réel échappe aux pouvoirs de l’homme. Il faut pourtant se garder d’estimer que cette évocation est impossible à réaliser. Il est possible que cette possibilité advienne, au moment où l’homme sera capable de voyager non pas au sein du même univers, mais d’un monde à un autre.
L’homme sera alors capable de créer des mondes, et l’écologie changera de fonction, quasiment de définition, bien qu’elle demeure le moyen de conserver en bon état ce qui est. Son dessein est intermédiaire. Sa définition est indexée à l’état d’un certain réel, alors que le réel n’est pas donné une bonne fois pour toutes.
La recréation affectera autant l'environnement de l’homme que son intériorité. A l’extérieur, elle modifiera des secteurs cardinaux de l’activité humaine, comme l’agriculture (la nourriture sera recréée pour l’homme dans la direction de ce qu’on nomme les OGM) ou les transports (qui s’adapteront à la possibilité de coloniser l’espace en ce sens favorable à l’homme); mais à l’intérieur aussi : l’homme prendra conscience de ses pouvoirs créatifs, et non créateurs, au sens où sa créativité est recréatrice.