vendredi 20 février 2015

Qu'est-ce que la vérité?

Qu'est-ce que la vérité? Ceux qui pensent qu'elle n'existe pas sont ceux qui pensent que l'être se dissout dans le néant, d’une manière ou d'une autre. Ceux qui pensent qu'elle existe la situent comme un modèle fixe. Il suffit que l'être demeure pour que la vérité soit. Aristote ne croit pas dans l'infini, mais il croit dans la perpétuation de l'être et dans l'existence de sa fixité, puisqu'il pensait achever le savoir.
Il est certain que la vérité finie est dicible, mais sous quelle forme peut-elle exister? La vérité infinie est intangible, parce qu'elle exprime l'ensemble du réel, même indéfini. Mais la vérité finie ne peut exprimer du réel que ce qui ressortit de l'être. Si on ne sait pas pourquoi il y a de l'être, et pourquoi l'être côtoie le non-être, alors la vérité se révèle tout aussi indécidable que l’être qu’elle qualifie.
Aristote postule ou constate qu'il y a de l'être et qu’il y a possibilité de connaissance, donc existence de la vérité, mais il ne peut expliquer cette évidence (selon lui). Le sophiste Gorgias assumera radicalement l'option de l’impossibilité de connaître, en l’expliquant par le fait que l'être n'est pas uni (puisqu'il n'existe pas à y bien regarder, sinon sous forme de poches erratiques et aléatoires).
Il est vrai que cette option débouche sur l'irrationalisme assumé, tandis qu'Aristote essaye de concilier rationalisme et reconnaissance du néant, sur le mode : le non-être existe certes, mais la loi de l'irrationalisme ne concerne pas l'être, qui lui se trouve gouverné par le rationalisme. Que la vérité finie soit inexplicable n'empêche pas qu'elle soit irréfutable pour la démarche métaphysique que fonde Aristote (sans avoir cherché à lui donner ce nom, posthume).
Si la vérité existe, pourquoi n'a-t-elle jamais été trouvée? Pourquoi certains décrètent-ils qu'elle n'existe pas au motif qu’elle ne se remarque pas dans l'expérience? Serait-ce que la vérité ne peut être appréhendée parce qu'elle est quantitativement trop étendue pour les connaissances humaines? 

Faudrait-il ajouter de l'impossible à cette approche, en précisant que la vérité est d'ordre transcendantaliste et que l'homme ne peut y avoir accès, comme il ne peut accéder à Dieu? Même ceux qui estiment qu'on peut connaître l'infini fort rationnellement (comme Leibniz après l'irrationaliste Descartes, et avant lui Platon ou Saint Augustin) se montrent incapables de définir ce que serait cet infini divin, et en conséquence reconnaissent que leurs définitions fondamentales de la réalité sont pour le moins hasardeuses.
La conclusion que l'on peut retirer de ce constat d'échec généralisé sur les instruments d’analyse qu’utilise la philosophie est que l’homogénéité apparaît comme inopérante pour approcher ce qu'on nomme le réel dans un sens plus étendu que le simple fini physique. La seule vérité que l'on connaisse est provisoire, et elle est d'ordre scientifique. Il faudrait se demander, si la vérité fonctionne sur le mode homogène, pourquoi seule cette vérité, pour le moins faible par rapport au modèle original, se trouve décelée.
Peut-être parce que c'est la seule qui existe, du moins sur le mode homogène? Ce qui impliquerait que le réel qui existe sur le mode homogène est l'être, et seulement lui, tandis que ce qu'on nomme l’Être et qu’on place sur un plan transcendantaliste et homogène, relève de l’illusion. La vérité n'a jamais été trouvée parce qu'elle n'existe pas sous cette forme. On peut continuer de la rechercher encore longtemps; on peut aussi estimer qu'on ne la trouvera pas ainsi, et que sa découverte nécessite d'en changer la définition autant que l'approche.
La vérité intangible n'existe pas, ou alors elle connote seulement ce qui est, et ce qui a été. En ce sens, la vérité rappelle que ce qui a été ne saurait disparaître, sans quoi il ne s'agit plus de vérité, mais d'instants éphémères et anecdotiques. Pour le futur, la vérité ne s'imagine pas comme déjà écrite, sauf à penser que notre présence soit inutile en tant que formes conscientes et que nous vivions sur le ton du superflu.
Auquel cas la vérité s'écrirait sur le mode seulement factuel. L’existence du passé nous rappelle que ce qui est ne peut être seulement de manière factuelle, mais s'exprime en plus de façon interprétative, ce qui constitue la reconnaissance de sa fluctuance. Pourquoi le réel n'est-il pas seulement factuel, ce qui serait la condition sine qua non de son caractère nécessaire?
Parce que le réel ne repose sur un régime ni univoque, ni homogène. Le réel n'étant pas tel, sa définition jusqu’à présent repose sur la simplification abusive. On cantonne la vérité dans l'espace du réel qui se révèle homogène depuis que le transcendantalisme s'est imposé comme l'interprétation dominante du réel, quoique reposant sur de nombreux points d'imperfection. 
Du coup, l'élément qui fait que la vérité n'est pas comprise selon l'articulation entre l'homogène et le différent engendre les malentendus, dont le principal : chercher (désespérément) une vérité intangible et inébranlable. La vérité n'existe pas comme telle. Elle n'existe comme forme constituée que dans la mesure où elle n'est jamais tout à fait constituée et où elle conserve en elle un pouvoir d'évolution.
Appréhender la vérité revient à se rendre compte qu'il n'existe pas de réalité complète et constituée, ce qui reviendrait à valider la contradiction, puisqu’on voit mal comment une réalité constituée pourrait se montrer complète si coexiste à ses côtés la réalité de type imparfaite, dans laquelle nous nous débattons et que nous nommons (par exemple) sensible. La vérité se définit alors comme la définition de la forme provisoire qui est appelée intrinsèquement à se modifier.

mercredi 11 février 2015

Mystère du complotisme

Comment expliquer le mystère du complotisme, ce refus d'arriver, depuis des questions légitimes, à des réponses au moins plausibles, le plus certaines possibles, tout aussi légitimes? Ce serait ce trait qui définirait au mieux le complotisme : refuser de proposer une explication claire, entretenir le mystère en lieu et place, comme si le complotisme relevait d'un business consistant à faire accroire que la VO est fausse, et que la vérité est ailleurs.
Pas simplement ailleurs, car l'alternative serait d’une grande banalité - l'intérêt vite éventé. Non, indéfiniment ailleurs. Si la vérité était identifiée, cette trouvaille signerait la perte irrémédiable - la fin immédiate du  complotisme. La définition du complotisme implique que le complotisme soit le complément, genre : envers de la médaille, de la VO.
Si la VO propage un mensonge évident, comme c'est le cas du 911 ou de l'assassinat de JFK, pour s'en tenir à deux mensonges contemporains, le complotisme servira à insinuer qu'existe une autre piste, d’autant plus haletante qu'elle est indéfinissable et inexplicable. La belle affaire! En réalité, le complotisme sert de diversion au profit de la VO. 
Quand les deux versions se conspuent, c'est parce qu'elles ont besoin de se détester pour exister plus intensément - et légitimement. Ensemble. La VO suscite le complotisme comme un moyen de protection. Le phénomène complotiste recrute ses adhérents, non pas de manière imprévue, mais parce que la montée des complots d’État s'est intégrée dans un phénomène d'ensemble, où ils vont de pair avec l'effet d'oligarchisation (la montée des inégalitarismes).
Plus la crise croît, plus les défavorisés augmentent, sur le plan économique, mais aussi culturel, celui de l’analyse et de la réflexion - en ce sens, du manque. Ce sont ces troupes décérébrées qui vont protester en votant pour des extrêmes, sans se rendre compte que ce faisant, elles favorisent les plus riches et se nuisent à elles-mêmes; ou qui virent dans l'interprétation complotiste, oubliant que leur geste de pseudo-contestation fait le jeu des comploteurs et détruit leur meilleur allié : le sens.
En parlant de sens, le propre d'une crise culturelle, c'est de remplacer le sens par la contradiction originaire. Le complotisme fait partie de cette manière d'interpréter les choses, puisqu'il ne s'agit pas de dénoncer la VO en proposant une explication alternative fiable, mais de décréter que le sens n'existe pas.
Il y a bel et bien eu complot, les auteurs ne sont pas ceux désignés par la VO, pas parce que ce sont d'autres auteurs, qui se trouveront désignés de manière précise et étayée, mais parce qu'il n'y a pas d'alternative proposée. Soit on incrimine une sarabande ironique et narquoise de mouvements farfelus (comme des groupes inexistants, les Illuminatis); soit on s'ingénie à multiplier les pistes (les sionistes + les Américains + deux ou trois lobbies maléfiques et occultes), de telle sorte qu'on rend impossible la compréhension du problème (surtout si l'on mêle quelques coupables avec des hypothèses farfelues et obsessionnelles, à même de les discréditer).
La disparition du sens s'explique par le fait qu'il se volatilise en une multiplicité tourbillonnante de sens contradictoires, qui font tourner en rond le sens premier, dans une sarabande de cercle vicieux. On ne peut jamais découvrir le sens que cache un complot avec la "méthode" du complotisme : le sens, ne pouvant disparaître, se contredit.
Voilà qui rappelle que le caché n'existe pas et que ce qui est décrit comme caché est :
a) soit mal compris (c'est le cas du complotisme, et plus généralement de "l'essence", terme de configuration transcendantaliste, qui traite mal de la perception de la différence, transformant en arrière-plan ce qui, étant différent, se tient sur le même plan);
b) soit marginal, l'homogénéité pouvant bien à certains endroits, rares et pour des périodes limitées, susciter des arrières-plans provisoires et exceptionnels.
Le complotisme se révèle une imposture explicative en ce qu'il ne peut expliquer que des bribes de cohérence, contradictoires avec ce qui leur est extérieur, au nom du principe selon lequel est contradictoire, moins ce qui est faux que ce qui est fini.
C'est même une exigence absolue, si la théorie d'ordre complotiste entend appâter des fans que de leur faire croire qu'elle va révéler la vérité face à l'imposture de la VO, en prenant garde de surtout différer, à jamais, sa promesse alléchante et aguicheuse.
Les fans n’aperçoivent pas la contradiction, empêtrés dans leur conception étriquée de la réalité, qui se limite à un petit bout de territoire, dont l'ensemble semble homogène : le propre de la contradiction est de proposer un domaine homogène qui entre en contradiction avec l'extérieur, et non un ensemble de contradictions internes, qui seraient intenables (et rendraient impossible la persistance insistante de la contradiction).
Plus le domaine est petit, plus la contradiction est forte. La taille du domaine s'apprécie en fonction du nombre de propositions qui le constitue (le minimum serait la simple proposition d'opposition à ce qui est extérieur; juste au-dessus, plusieurs propositions de cet acabit). 
Le complotisme ne propose rien de concret pour sortir de sa situation de complot perpétuel et inévitable, si ce n'est de rappeler que les complots, expression sociale de la contradiction ontologique, structurent de manière fondamentale la vie sociale - ce qui implique que le complotisme en reste à une approche sociologique de la réalité, de type fataliste ou pessimiste.

mardi 3 février 2015

Le mythe du modèle

Le mythe principal sur lequel s'appuie s'appuie la métaphysique, en particulier moderne, depuis Descartes, c'est le schéma selon lequel la vérité se retrouverait dans le passé et constituerait de la sorte le modèle, le patron, la mouture initiale. Dès lors, la construction importe peu, car la vérité se situe, non pas dans les effets, mais dans la cause première.
Ce raisonnement implique que la vérité existe déjà, se tienne au départ de notre monde, et que le principal effort de la connaissance consiste à la retrouver. Dès lors, la principale contradiction qui s'oppose à ce raisonnement tient au non-sens et à l'inutilité qu'il induit. 
En effet, le réel ultérieur à la perfection devient parfaitement inutile. La cause parfaite nécessite d'être connue, bien que son hypothèse délivre une absurdité : car on voit mal pourquoi notre perfection, si elle est telle, aurait besoin d'un complément - qui serait notre monde physique.
L'idée de retrouver la cause pour déterrer la vérité implique que la vérité soit nécessairement passée, ce qui empêche la connaissance d'y accéder. La vérité ne peut s'envisager qu'en embrassant l'ensemble du réel, pas seulement le réel littéral (physique), ni l'initial (passé).
Si la recherche du fonctionnement d'ensemble implique de trouver les bonnes causes, son déploiement interdit de s'en tenir à elles seules, sauf à considérer qu'il est superflu. Si le fait de partir de n'importe quelle cause pour expliquer un effet donné aboutirait à un résultat hasardeux, souvent où l'on mélangerait le vrai et le possible (ce qui peut advenir, tandis que le faux existe), tenir la cause pour seul réel reviendrait à nier le réel.
Cette idée selon laquelle il existerait un modèle intangible, donné une bonne fois pour toutes, constitue un raisonnement commode : il implique que la source n'aurait pas besoin de son inexplicable autant que superflue création. 
La méthode serait simple, bien qu'il s'avère difficile de retrouver la forme : il suffit d'identifier la cause du réel, et l’explication sera trouvée. Un tel réel fonctionne sur le mode de la nécessité - ou bien la vérité qu'on lui attribué s'avère inexplicable. Cette hypothèse n'est pas que le propre de la métaphysique depuis Aristote, singulièrement depuis sa rénovation par Descartes.
Elle constitue le raisonnement symptomatique du transcendantalisme, dont la marque de fabrique se trouve affinée par son unification sous la bannière du monothéisme. C’est ainsi que Dieu est le Premier autant que le Dernier, dans l'ordre du temps, qu'il ouvre et referme sans qu'on sache bien pourquoi cet espace existe, ni pourquoi il l'a créé, et que l'on essaye de reprendre les moments où il s'est manifesté.
On retrouve cette approche du réel, selon laquelle seul ce qui est passé a de la valeur; tandis que ce qui est présent est incertain et fragile, avec le mythe de la chute de l’Éden dans la Genèse (un mythe que l'on retrouve dans de nombreux récits sacrés sous des formes approchantes) : si Adam commet le péché originel, qui le fait expulser du Paradis, c'est que l'origine est la Perfection située à l'origine des choses, le monde physique étant tenu pour la dévalorisation de l’origine.
C'est ce raisonnement qui constitue l’archétype de la pensée atavique, de telle sorte que toutes les déclinaisons de cette mentalité sont imprégnées de cette conception, selon laquelle ce qui a un début a forcément une fin. Le propre de cette explication par la cause intégrale, c'est qu'elle comporte une origine (plus encore qu'une fin, puisque le mythe de la vérité initiale n'importe pas que la suite soit compréhensible (en d'autres termes, s'il est certain que la fin existe, on ne sait comment son avènement se produirait, par exemple suivant la nécessité ou la liberté). 
Voilà qui implique que ce qui se conçoit comme le complément de la cause, et non son adjonction superflue, ne puisse comporter de fin. Seule l'acceptation de l'hypothèse par la cause implique la fin. A y bien regarder, rien n'indique que le réel comporte sa fin (comme sa cause). L'explication qui rend cohérente (tel n'est pas le cas de l'explicitant par l'origine) l'ensemble du réel implique que :
1) la cause ne suffise pas;
2) la fin ne puisse s'envisager, au sens où la fin envisageable soit progressive.
L'idée selon laquelle la fin provisoire (ou ce qui suit) importe plus que le début (nécessairement incomplet, et non modèle de perfection à retrouver) implique que le processus soit en constante évolution et que le changement se traduise par le fait que ce qui émarge au titre du réel soit moins ce qui advient (objet que les causes adéquates peuvent envisager, au moins jusqu'à un certain point) que le fait que cela reste (cela est = cela reste, ou encore le devenir = ce qui reste et que l'on nomme réel).
Si les causes adéquates permettaient de prévoir le réel futur, alors des esprits sagaces auraient réussi depuis longtemps à établir ces prévisions de manière définitive. Si elles n'ont pas eu lieu, c'est que les causes les plus rigoureusement définies ne suffisent pas à établir une prévision rationnelle et fiable. Le fait que le développement du réel ne soit pas prévisible indique qu'il n'obéit pas à un plan linéaire, mais suit des linéaments imprévisibles et en ce sens discontinus.
Comment expliquer autrement que le réel ne soit pas mû par l’ordre irréfragable s'il se trouve issu des causes adéquates? La discontinuité ne peut s'expliquer que si on fait intervenir une hypothèse qui fait intervenir et qui exclut l'hypothèse nihiliste du non-être, au nom du fait que ceux qui valident cette option ne font que renforcer l'esprit rationaliste (comme en témoignent les métaphysiciens depuis Aristote). Le réel n'est pas seulement composé d'être. 
Il est constitué d'une matière extensible, d'ordre malléable. Le modèle présentait au moins une explication, aussi fragile soit-elle à l'examen de ses fondements. Mais cette explication empêche de comprendre, puisqu'elle déforme la structure du réel.
Le point essentiel sur lequel on peut insister est l'explication contradictoire qu'induit la croyance répandue dans le modèle : il convient d'observer que l'effet, s'il découle d'une cause, n'est nullement contraint de suivre une seule inflexion, mais que l'effet peut rompre avec une certaine tradition (tenue pour intangible), tout comme la causalité n'est qu'une indication plausible, mais pas davantage.
Le réel est imprévisible dans son fonctionnement, ce qui s'explique soit de manière inexplicable (comme chez Descartes, qui concilie la préordination divine avec la liberté individuelle), soit en faisant intervenir la différence fondamentale. L'explication par le modèle implique une tentative au mieux contradictoire, selon laquelle la contradiction rationnelle ne peut être levée que de manière inexplicable.
Leibniz sur ce point ne fait guère mieux, lui qui remet en question, au nom de la logique et du principe de contradiction, la position (emblématique) de Descartes, tout en ne proposant aucune explication, mais, en guise d’alternative, une absence de théorie adossée sur la vérification : c'est valable, parce que ça marche - et bien que cela reste inexplicable. 
L’imprévisibilité du réel ruine des positions comme celles de Descartes, qui cherchait une méthode a priori pour découvrir la vérité (ça commence avec la résolution des problèmes, ça finit avec les idées claires et distinctes), mais elle n'accepte pas pour autant la réponse de Leibniz, selon lequel l'expérience permet de compléter la théorie. L'imprévisibilité doit pouvoir être expliquée, sans quoi l'explication s'avère carencée.
Commençons par observer que l'imprévisible ne l'est pas totalement, mais que l'influence causale est prédominante. Nous sommes le plus souvent, non dans un causalisme pur, comme le voudrait un Spinoza, mais dans un causalisme majoritaire, à parti duquel de légers changements sont amorcés, ce qui indique que le déterminisme n'est pas absolu, tout en sauvegardant l'ordre indispensable à la perpétuation de l'être.
Cependant, la faculté qu'affichent les objets tissés d'être de sortir à certains moments de leur fonctionnement prévisible constitue précisément leur originalité et le point le plus intéressant. D'un point de vue historique, ce sont ces cas qui changent le cours prévisible des causes et qui de ce fait rendent possible la perpétuation de l'homme, sans quoi l'appauvrissement serait inéluctable.
D'un point de vue scientifique, le changement des causes se révèle d'une nécessité particulière : car cette nécessité, contrairement à la nécessité entendue usuellement, se combine avec l'imprévisibilité, ce qui amène à déclarer que seul l'imprévisible est nécessaire. Le nécessaire ne peut être la loi qui dirige le réel, mais le fondement à partir duquel se construisent les étages supérieurs.
Il est erroné d'envisager la cause comme plus importante que l'effet, car être le début n’implique pas qu'on soit la perfection, comme le voudrait Descartes, mais seulement le commencement, dont le paronyme pourrait être : l'inférieur, aussi. Par ailleurs, la cause ne peut être qu'inférieure à l'effet si s'y ajoute le coefficient d'imprévisibilité.
Le modèle constitue une explication d’autant plus tentante qu'elle offre une théorie face à l'inconnu. Là aussi, la question aurait dû être : comment se fait-il que l'homme soit incapable de proposer une définition du réel, tandis que l'on se tient sur une ligne d'homogénéité entre l'observateur et son objet d'étude - l'être? En somme, l'homme a préféré tenir quelque chose d’insuffisant plutôt que rien de consistant.
C'est le signe, non qu'il a failli tenir quelque chose de plus, comme l'inclinerait à croire le partisan de l'option ontologique, mais qu’il a été confronté au fait qu'il ne peut tenir un tout. Du coup, le raisonnement majoritaire se traduit en philosophie par la prédominance de l'influence métaphysique, tandis que l’ontologie ne parvient pas à définir son tout, revendiqué comme l’Être (ou d'autres paronymes).
L'échec de l’ontologie signe le triomphe du nihilisme, qui ne peut s'exprimer que par son association avec la recherche de quelque chose, comme en témoigne la métaphysique. Le seul moyen d’échapper au piège du modèle consiste à décréter que l'infini est représenté l'image du modèle dans le fini et qu’il faut en passer par cette analogie pour représenter l'infini (à ce stade, la différence avec la métaphysique, c'est que l'ontologie considère qu'il est possible d'exprimer l'infini).
Le modèle est la seule hypothèse dans un ensemble où l'explication fonctionne sur l’homogénéité. Il reste que cette explication n'est pas viable, et implique, soit d'établir l'indéfinissable, soit de circonscrire le champ au fini. Il reste alors à ouvrir le domaine à la différence, qui permet de résoudre l'indéfinissable, comme l'insuffisance de toute limite inhérente à la vision finie.