vendredi 30 décembre 2016

Concertation

Comment les gens font-ils pour agir d'une manière identique et commune sans se concerter? Le complotiste estime que la concertation généralisée est possible, jusqu'à parler d'un mode de fonctionnement majeur, selon lequel on peut agir ainsi à condition de se cacher. 
Que des complots existent, personne ne le nie. Mais que les complots soient généralisés, voilà le problème. On sait qu'il existent et qu'ils sont cachés, à condition qu'ils soient limités. 
Donc le complotisme confond ce qui relève de la concertation et ce qui n'est pas concerté, en estimant qu'on ne peut présenter tant de ressemblances comportementales sans se concerter.  Pour expliquer une concertation invisible, il recourt à l'explication par le caché : si la concertation n'est pas visible, c'est qu'elle est cachée.
D'où l'importance délirante accordée au complot, qui est attesté historiquement, avec une spécificité historique qui l'arrange bien : l'augmentation des complots en période de crise lui donnent un alibi pour sa théorie, qui commence par être fondée sur une exagération historique sans doute outrancière, puis qui, quand elle verse dans la généralisation abusive, sombre alors dans la paranoïa cette fois inacceptable pour tout esprit raisonnable (c'est-à-dire entendant raisonner sans exagération, ce qui est le propre de la paranoïa).
Le fait que les complots augmentent en période de crise signifie que le mimétisme augmente par manque de repères. Autrement dit, la crise signifie qu'on se réfugie dans le comportement fondamental, qui n'est pas du tout le comportement maximal, mais au contraire le minimal s'il est le point de départ.
Du coup, le complotisme révèle en creux le mécanisme qu'il refuse de reconnaître et qui pourtant constitue l'explication fondamentale, mais pas décisive, du fonctionnement du comportement humain. Il est possible avec le mimétisme de reprendre les comportements d'autrui sans en avoir conscience. 
Pour ce faire, il convient d'expliciter la raison qui meut le mimétisme : quand on dit que l'on reprend les comportements d'autrui sans s'en rendre compte, qu'entend-on par ce terme? On ne reprend en effet pas n'importe qui, de manière aléatoire, mais une catégorie de personnes bien précise : les plus forts.
Ce qu'on nomme les plus forts désigne ceux qui ont atteint le maximum de puissance sociale, avec les valeurs qui vont avec (pouvoir, argent...). Cela implique que cette catégorie n'est pas stable, n'en déplaise aux fantasmes des oligarques sur ce sujet, mais fort versatile, car ce qui est fini l'est dans tous les sens du terme.
On brûle d'imiter le plus fort, car il est la valeur supérieure du fini, tandis que le mimétisme est la faculté propre du fini, raison pour laquelle elle est aussi la faculté fondamentale de l'homme quand il se meut dans le réel. Le plus fort au fond ne veut rien dire. La force implique l'automatisme et la facilité. 
Quand on réfléchit ainsi, on prend le mimétisme pour la loi qui régit le comportement humain, alors que le mimétisme n'est que le fondement à partir duquel l'homme développe ses facultés de créativité. 
Si le comportement humain fonctionnait seulement sur le mimétisme, alors le complotisme serait la bonne interprétation du comportement humain. Qu'est-ce que le complot, si ce n'est la croyance selon laquelle on peut faire fonctionner le monde de l'homme, en estimant que l'homme dispose des moyens de diriger le réel?
Où l'on voit que le complot ne fonctionne pas, c'est qu'il est obligé de recourir aux normes, en guise de lois, de la concertation cachée, minoritaire et influente, comme s'il ne pouvait pas agir au grand jour. Cela signifie que s'il est obligé de se cacher, le complot a une influence limitée, pas forcément sur le moment, car s'il est monté par des gens puissants, son influence peut être très grande, mais sur le terme. Raison pour laquelle les complots finissent toujours par échouer : c'est que leur structure est vite déclinante.
Le complot devient un acte désespéré et promis à l'échec, parce qu'on ne peut diriger la société tout en faisant une concertation cachée. Le complotisme exprime dès lors la fascination exagérée et incroyable, littéralement, pour un domaine (le caché créé et dirigé par l'homme) qui apparaît saugrenu tant qu'il n'y a pas de crise - et qui ne fonctionne en temps de crise que parce que de plus en plus de gens sont tellement perdus qu'ils sont prêts à tout pour entretenir à tout prix le sens dont ils ont l'habitude dans le monde - sans se rendre compte que ce sens est fini, dépassé, et que la bonne nouvelle est qu'il est possible d'en changer.
Le complotisme est une mentalité désuète et réactionnaire, refusant le changement alors que le train est déjà passé. De ce point de vue, il consiste exactement à désigner comme ceux qui dirigent de manière pérenne une caste d'hommes, les "comploteurs-dominateurs", qui ont dû occuper certaines responsabilités, mais d'une manière moindre que celle qui leur est imputée par grandiloquence. En outre, leur domination partielle et surévaluée est soit déjà passée (exemple : les Rothschild), soit en voie de passer (exemple : les Seoud).
Le principe qui disqualifie l'action du complot et qui explique pourquoi il échoue toujours est qu'aucune action publique ne peut être intentée sans qu'elle soit publique. En outre, aucune domination cachée n'est pérenne, car elle repose sur des mécanismes trop aléatoires et imprévisibles.


Les dénonciateurs-complotistes, bien qu'ils s'en défendent, y trouvent la stabilité qui fait défaut, dans le réel. Le monde complotiste est peut-être un monde affreux et condamnable, dont ils sont les victimes, mais c'est au moins un monde qui donne sens au réel - cela implique donc que le réel vu par le complotiste est absurde, donc que le complot vient pour lui donner un sens, qui ne résout pas le problème général du sens, mais qui le résout au moins sur le plan social et politique, pour l'homme.
Que le complotiste soit en outre manipulé par les instances-relais de la domination qu'il dénonce de manière fantasmatique, s'avère d'autant plus drôle (et cruel) qu'il pense avoir éventé la manipulation, lui être imperméable, dans le moment où il fonctionne de la manière la plus mimétique qui soit, une forme naïve et simpliste, selon laquelle il n'est pas besoin de comprendre pour penser.
Mais selon ce mode de pensée, l'action est inutile, puisqu'elle se résume à empêcher les choses de changer - donc à ne pas agir. L'action devient ainsi superflue, ce qui est un comble pour une pensée critique de l'engagement politique. On peut même conjecturer que la compréhension se trouve remise en doute, à partir du moment où le principe de contradiction est ébranlé au profit de l'inconséquence dérisoire - forcément médiocre.

dimanche 11 décembre 2016

Le futur de l'être

Dieu n'est pas ce qui existe déjà, mais ce qui devrait être représenté comme ce qui est à venir, et qui n'existe donc pas. Le propre du réel n'est pas d'avoir été ou d'être en ce moment (ici et maintenant), ce qui n'est qu'une présence soumise à la négativité ou promise à l'être bientôt. Le plus intrigant est que ce qui est se situe devant, au sens où il n'est pas déjà, mais où il s'avance en promesse indubitable, quoique incertaine. Au sens propre, l'être est un terme impropre, puisque seul l'être au futur existe, un sera aussi nécessaire qu'imprévisible (sa liberté réside dans ce deuxième attribut).
Mais l'être qui est devant n'est pas déjà écrit au futur, ce qui n'a guère plus de sens que la croyance selon laquelle l'être est déjà écrit au passé. Cela signifie tout simplement qu'il n'existe pas d'origine, mais qu'il convient plutôt de supprimer la quête des origines, comme un mythe introuvable - raison pour laquelle on l'a tant cherché et on ne l'a jamais trouvé.
L'être n'existe qu'à l'état de succédané instantané et ne vaut donc que si on le conçoit au futur. Si on le conçoit au passé on recrée une situation qui est artificiellement concevable, mais qui a l'inconvénient majeur de l'isoler, au sens chimique, de la manière complexe dont il se déploie et se manifeste : car l'être ne se manifeste que de manière simultanée et concomitante (cet terme convenant peut-être mieux), selon un processus dans lequel il n'est pas d'être sans l'adjonction de la faculté différente de malléabilité.

mardi 29 novembre 2016

Le réflexe conservateur

Comment expliquer la persistance de l'oligarchie, alors qu'elle est reconnue comme se trouvant inférieure à la république? La question générale serait : comment expliquer que le minimum soit préféré au maximum alors que les deux sont connus et reconnus? Ce constat montre que le modèle général du transcendantalisme, en particulier celui de la métaphysique (le Premier Moteur), est faux. Il insinue que le parfait se situe au commencement et que la suite n'est que dégradation. Si l'on adopte plutôt la conception selon laquelle le minimum est le fondement qui prépare le développement du maximum en constante progression, la persistance de l'oligarchie s'explique : le fondement, s'il n'est pas l'expression du maximum, n'en demeure pas moins le lieu de la certitude, soit du commencement.
On préfère ainsi ce qu'on tient, fort de l'adage selon lequel, s'il est dangereux de lâcher la proie pour l'ombre, c'est qu'il vaut mieux s'assurer de ce qu'on tient plutôt que de ce qu'on peut tenir, fût-ce du plus intéressant ou du supérieur. Ce raisonnement est faux, car il aboutit à préférer le minimum au maximum, ce qui est aberrant. Mais il illustre une mentalité qui amène à préférer la conservation au progrès, fort de l'idée selon laquelle on est sûr de ce qu'on a. Ce raisonnement s'avère faux, au sens où on ne peut conserver ce qui est sauf à aller du minimum vers le maximum.
Le progrès exprime ainsi le seul moyen de conserver un certain état, pendant un certain temps (il n'existe pas d'être définitif ou éternel). Il ne s'agit pas de condamner le conservatisme en politique, puisqu'il peut exister des pensées conservatrices qui intègrent en leur sein des éléments de progrès, tout comme certaines positions progressistes promeuvent à l’examen un progrès des plus réactionnaires (comme l'écologie politique, dont le changement consiste précisménet à en revenir aux commencements de la Nature).
C'est toute cette pensée qui imprègne notre modernité depuis que Descartes l'a théorisée de la manière la plus rigoureuse et admirable qui soit, notamment avec la première preuve par les effets dans sa Troisième méditation (selon laquelle la cause est égale à l'effet, ce qui implique qu'elle puisse lui être supérieure, mais pas inférieure, ce qui est le cas avec Dieu, qui est parfait, alors que sa création est imparfaite).
Dès lors, il est normal que l'on préfère l'oligarchie à la république, car d'un point de vue logique on est amené à préférer la proie à l'ombre. On notera ici que l'ombre ne constitue pas quelque chose d'illusoire, de la même manière que ce qui est faux ne peut exister en tant que tel que s'il bénéficie de la possibilité de se tromper.
Tout cela implique que le réel n'existe jamais de manière nécessaire et unique, mais qu'il se forme au sein d'un champ de possibles, qui s'il n'existe pas à l'état d'alternatives égales à l'hypothèse devenant le réel, doit se former parce qu'il existe autre chose que ed l'être - et même que l'être est fondamentalement cet autre chose, soit de la malléabilité, étant entendu qu'elle n'est pas un autre identique à l'être, mais une faculté venant rendre possible l'avènement en son sein du donné.
Pour en revenir à mes moutons, l'oligarchie fait croire qu'elle s'adosse sur la nécessité implacable. Il n'y aurait pas moyen de changer de possible, puisqu'il n'y en a qu'un seul. 
Alors qu'en fait, notre liberté fondamentale fait que ce n'est pas le seul possible qui s'actualise de manière extérieure à nous, et nous serions seulement soumis à la providence, mais nous disposons de la faculté d'agir pour une certaine part dans nos actions et nous en usons comme d'une 

mercredi 16 novembre 2016

Le nihilisme masqué

La manière de traiter l’infini est révélatrice du taux en nihilisme qui infeste la philosophie depuis les présocratiques. Le nihilisme est présent dans le transcendantalisme, dans la mesure où il est implicite : ainsi du terme d'infini, qui par la négativité qu'il charrie ne renvoie pas à de la positivité, mais à ce qui n'est pas fini.
L'éternité ne se trouve pas définie. Le fait que les philosophes parlent de l'infini ne signifie donc pas qu'ils ne sont pas nihilistes, tant s'en faut. Spinoza, qui est un immanentiste, soit une forme radicalisée de nihilisme selon laquelle il convient de tenir le moins possible compte de l'infini, parle pourtant bel et bien d'infini, quand il avance que Dieu est infini. 
Mais c'est pour dire que l'infini désigne une immanence infinie, qu'on ne saurait définir autrement que sous un autre terme négatif, celui de substance incréée. L'opposition aux religions révélées est patente, et derrière elles, au transcendantalisme comme forme de raisonnement. 
En gros, plus on trouve le terme infini, plus le nihilisme est présent, car cette occurrence implique que la négativité soit présente, signe du nihilisme par excellence. Pour trouver une conception qui ne soit pas imprégnée à des degrés divers par le nihilisme, il faut que la conception de ce qui n'est pas fini, littéralement l'infini, soit proposée. 
Or c'est ce qui n'est jamais le cas dans l'histoire de la philosophe, à l'exception timorée de Platon, qui propose comme définition du non-être l'autre, soit une définition finie qui indique bien qu'il existe autre chose que de l'être, sans expliquer au juste en quoi consiste l’Être. De ce fait, il évite de définir l’Être et ne donne du non-être qu'un aperçu partiel, fini, celui de l'autre. 
Mais le non-être reste présent, et avec usure, dans l'indéfinition de l’Être, qui ressortit bien de la catégorie de la négativité implicite. Pour résoudre ce problème, Platon aurait dû définir vraiment l'infini et ne pas en rester à l’Être, qui n'est jamais qu'un défini masqué et un positif cachant à grand peine en son sein le négatif.



mercredi 2 novembre 2016

A découvert

Et si Dieu ne désignait pas le commencement, car le commencement est une valeur propre à l'être? En ce sens, il faut quitter les représentations rattachées à l'être pour comprendre que Dieu désigne une réalité cohérente. 
Ce que nous renvoie nos sens, c'est une représentation ontocentrique. Il convient de remonter au-delà de la raison, vers la créativité, qui permet d'aller au-delà de l'être.
Si l'être est adjoint en complément à la malléabilité, les conceptions qui lui sont inhérentes deviennent imprécises, à l'image des notions de début et de fin, que l'on définit aisément sur le contenu d'une existence, mais pas l'existence en général, celle de l'être ou du réel. Autrement dit, il faut des limites précises pour définir l'être.
On dit souvent que le propre du réel est d'être dépourvu de limites. Mais on ne comprend pas ce qu'est l'être si on s'en tient à une définition au fond imprécise, voire contradictoire (comme si la supériorité de Dieu était d'être au-dessus du principe de contradiction, ce que défend un Descartes, pilier de la pensée moderne).  
Pour retrouver de la clarté, il faut sortir du transcendantalisme, ce qui revient à congédier la mentalité atavique par laquelle l'homme s'est développé. C'est en ce sens alternatif et constructif que s'ébauche l'hypothèse selon laquelle Dieu désigne la capacité, (re)couvrante et non holistique, qui caractérise le réel. On change alors de perspective, au point que la plupart des conceptions liées au transcendantalisme apparaissent dépassées. 
Le holisme implique l'existence d'un tout. Or le tout ne peut exister que dans le domaine fini. Dans l'infini, terme propre au transcendantalisme, qui par sa négativité indique que la méthode transcendantaliste ne peut penser cette réalité pourtant irréfutable, il fait partie de ces valeurs dépourvues de signification.
Le holisme admet à l'examen qu'il a besoin d'un extérieur pour se maintenir. Donc d'un espace. Un espace qui serait extérieur contredit l'idée du tout, si l'on entend par ce terme tout l'ensemble du réel. 
On mesure à quel point la définition de l'infini pose problème. En particulier, la notion pourtant cardinale l'espace vole en éclats, puisqu'il ne peut y avoir d'extérieur à ce qu'on nomme tout. L’extériorité du tout indique ainsi qu'il existe une extériorité connexe au tout, donc du réel.
Dès lors, le transcendantalisme échoue à expliquer ce que désigne ce qu'il nomme par cette approximation négative d'infini. Un indice supplémentaire que l'explication valable ne fonctionne que dans le domaine du fini.
Reste à expliquer qu'il y ait quelque chose. C'est dire que la reconnaissance négative du fait qu'il y a autre chose que du fini vient expliquer par là même le fini.
Leibniz à l'époque moderne par Leibniz a formulé le problème en en restant à une question, présente un sens qui s'avère spécifiquement métaphysique, au sens où la métaphysique en reste à l'analyse d'ensemble de ce qui est fini.
Dans l'infini, la métaphysique patine, ce qui explique qu'elle présente l'infini comme le négatif. Elle en vient alors à le considérer comme le néant, après avoir tenté de le réduire, avec Descartes, à la valeur de l'indéfini, qui présente comme mérite de demeurer dans les bornes familières du fini.
Quelle valeur l'infini présente-t-il? Le fait qu'il désigne le non-être indique que ce terme intégralement négatif exprime simplement ce que l'être n'est pas - et rien de plus. 
Autrement dit, le non-être, c'est l'infini considéré depuis le point de vue déformé (et ontomorphique) de l'être. Au sens littéral, il peut y avoir quelque chose plutôt que rien si quelque chose est exclusivement entendu comme de l'être. Dès lors, le holisme utilisé libère un espace, qui est investi négativement et qu'un Descartes nommera très conséquemment l'indéfini, avec la volonté de le caractériser selon le point de vue ontologique. 
Mais si le non-être présente de la positivité, ce qu'il reste à expliciter, alors il ne peut pas y avoir quelque chose plutôt que rien, car il ne peut y avoir rien. En effet, la reconnaissance du néant signifierait que l'infini s'exprime dans le cadre d'une conception étendue, selon les termes de l'être. 

Comment est-il possible que le non-être manifeste une idée fausse, qui désigne autre chose que sa présentation? Il faut bien que le faux soit autre chose que le donné (ce qui est) des choses telles qu'elles sont. C'est reconnaître que le terme quelque chose ne signifie pas une chose fixe et intangible, mais une chose dotée de pouvoir flexible, malléable et couvrant. Il convient en outre de préciser que le réel envisagé ainsi renvoie à la propriété ou à la faculté (la malléabilité) plutôt qu'au donné de l'être.
L'impossible n'est pas possible, ce qui signifie que le possible sort de la contradiction, entendue comme état de nature artificiel et initial, et la dépasse. La contradiction ne désigne pas l'impossible, à partir du moment où elle accouche nécessairement du possible - qu'elle engendre la résolution. La contradiction n'existe pas sous une forme indépendante, qu'on pourrait isoler, mais procède d'une recomposition consistant à distinguer le contradictoire et sa résolution - en être.
Dès lors, ce qu'on nomme l’initial ne vaut que dans l'état donné - celui de l'être. Ce qui prend la place de l'initial dans la configuration de l'infini n'est pas le malléable, qui reste une acception donné - mais le pouvoir couvrant, qui n'est pas un état, mais une propriété.
On comprend que la notion de début n'existe pas si elle est corrélée à celle de donné. Il faudrait lui substituer la signification de propriété couvrante, en précisant que les deux notions de contradictoire et d'être sont imbriquées selon le déploiement de la résolution et que, si l'on en reste à ce qui se passe, sans chercher à le décortiquer de manière reconstituée et artificielle, il faut plutôt se rendre compte que l'être surgit immédiatement, de manière concomitante au contradictoire, et non après lui. 


Chaque fois que le domaine de délimitation de l'être est atteint, le propre de la propriété est de susciter la création d'être, de telle sorte qu'il ne peut exister de vide, de rien, de non-être.
Et si ce qu'on n'arrive pas à comprendre est que l'unité est un prisme ontologique? Et si Dieu était, non pas deux, mais pas quelque chose de fixe, dont la concomitance donne l'impression d'unité? Il faudrait alors penser la coexistence au lieu de l'unité et la malléabilité plutôt que l’Être.

vendredi 21 octobre 2016

Le mythe du caché

Ce qui est caché dans le complot peut encore s'expliquer par une mauvaise compréhension des mécanismes qui sont à l’œuvre dans le réel : le caché signifie alors ce qui est mal compris. Mais comment peut-il y avoir du caché durable si l'être fini trouve son complément dans le prolongement transcendant de l’Être? 
Si les deux sont en prolongement, le caché devrait être connu, puisqu'il devient connaissable. Le transcendantalisme n'explique pas pourquoi il y a du caché. Du coup, le domaine humain ne se trouve pas différencié des limites divines. Dès lors, c'est la place des complots qui, s’avérant vague, déborde parfois de ses attributions classiques.
Ce constat prend en compte la mode actuelle du complotisme, qui ne surgit pas par hasard ou de manière  spontanée. Le complotisme ne surgit comme interprétation sursignifiante et donc à tendance paranoïaque La crise traduit qu'une faiblesse apparaît dans l'explication du déroulement des choses, que le schéma général ne parvient à résoudre.
Le défaut était déjà dans l’œuf transcendantaliste, le complotisme ne faisant qu'exacerber le défaut. Ce qu'il faut discerner derrière la protestation bien-pensante contre le complotisme, c'est que le transcendantalisme ne peut condamner ce qu'il pratique lui-même, seulement à moindre mesure et de manière plus contrôlée : il complote, sans savoir pourquoi il le fait, alors que selon ses dires, son bon fonctionnement fait qu'il ne devrait pas en avoir besoin.
Bien que le caché demeure inexplicable, il occupe la principale place du réel - nous ne parvenons à expliquer que fort peu de choses, qui relèvent du fini. Chercher un explication au fait que Dieu est invisible rappelle dans ces conditions que le caché occupe une place qui outrepasse de très loin les attributions du complot.
Ce faisant, le caché n'est pas une catégorie que l'on peut définir clairement. Il correspond plutôt à une définition ad hoc permettant d'expliquer sans grand effort ce qui reste mystérieux et qui plutôt cloche dans l'explication proposée. 
Il explique tout aussi bien qu'il n’explique rien, tout comme Dieu. Au passage, voilà qui ne signifie pas que Dieu n'existe pas, plutôt que le problème qui est derrière Dieu (expliquer par complément notre monde mal connu, mais irréfutable) est mal posé.
Le complotisme intervient dans ce cadre, afin de donner à toute force à l'homme la responsabilité de ses actions et d'expliquer à tout prix ce qui lui arrive. Il dissocie le monde de l'homme du réel, en estimant que ce dernier importe peu, tout bien considéré. 
Cette responsabilisation a au moins l'avantage de proposer une explication. On pourrait estimer qu'on recourt, en lieu et place de l’explication passe-partout et dénuée de sens de Dieu, à l'explication, elle non dénuée de sens, par l'homme, qui déclare que son domaine est délimité.    
L’explication repose sur la volonté : elle réalise l'ensemble des actions. Sans elle il n'est pas possible d'agir. En outre, elle rend possible l'explication sans questionnement, puisqu'elle explique tout, toute en étant inexplicable - ce que Schopenhauer avait bien compris, au point de l'étendre à l'ensemble de l'univers.
Le paradoxe auquel parvient le complotisme est que pour décrypter le caché, il le rétablit, en admettant qu'il existe autre chose que le monde de l'homme. Ce n'est plus l'intelligence qui domine l'homme, mais la volonté. Elle permet d'éviter que l'on fasse sens pour tout élément de réel (ce que, avant Schopenhauer, Descartes savait fort bien et qui lui permit de proposer une explication dont les points faibles se trouvent gommés).
Le refus de l'explication est le moyen paralogique qui permet au raisonnement fallacieux de faire croire qu'il fonctionne - alors qu'il faut exiger de l'explication qu'elle puisse expliquer, sans quoi elle exprime le vice de forme. Le caché aura toutes les chances d'engendrer le complotisme tant qu'on ne reconnaîtra pas que tout ce qui est inconnu peut devenir connaissable, au moins en partie et de manière croissante.
Si l’Être était en homogénéité avec l'être, il ne pourrait être caché. La raison aurait découvert ce qu'il est - étant capable de découvrir ce qui se tient sur le même plan. Voilà qui implique que le réel ne soit pas uniforme, mais fonctionne sur la différence.
Comprendre la différence relève de la faculté nommée créativité, parce que le mouvement de la pensée qui permet de penser la différence consiste à la comprendre en allant de l'avant, seul moyen de comprendre ce qui est caché quand on se tient dans ce qui est ou ce qui est déjà. Le passage dans l'inconnu permet de se rendre compte que l'être ne peut survenir qu'en s'appuyant sur une propriété différente, qui est la faculté de malléable.
Ce que fait apparaître le complotisme, c'est le problème du caché, qui est le problème sous-jacent à l’ensemble du transcendantalisme. Peu importe que le complotisme en lui-même ne comporte guère d'intérêt et de cohérence. Il est amené à fleurir dans les périodes de crise du sens, tant que l'on n'aura pas remplacé le transcendantalisme par quelque chose qui empêche le mythe du caché pérenne - possédé par quelques initiés aussi supérieurs que malfaisants.
C'est ce caché qu'il convient de clarifier, non pas ce que l'on classe dans le caché parce qu'il est mal compris, mais ce qui est destiné à resté caché de notre intelligence, puisque ce qu'on nomme Dieu dans le transcendantalisme signifie ne pouvoir être aperçu, entendu ou compris des faibles moyens de l'homme.
Le caché constitue le moyen de rendre plausible ce que le transcendantal ne parvient à expliquer. Il est temps de dénoncer cette faiblesse et de se demander ce que serait l'explication qui rendrait le caché marginal - un caché provisoire et qui ne peut exister sans le visible. La  question est : puisque le caché est absurde dans un schéma homogène, comment expliquer ce qui est caché autrement que par cette mauvaise interprétation?
Et si le caché n’existait pas, en tout cas sous cette forme reçue, il faudrait presque dire : cette emprise? Voilà qui expliquerait pourquoi on ne l'aperçoit pas : parce qu'il n'existe pas. 
Ce que l'on prend pour le caché, c'est ce qui est différent et de ce fait ne peut être aperçu. Le caché part du principe selon lequel on vivrait dans un réel homogène, quoique incompréhensible. Tout bien considéré, rien ne prouve ce postulat; par contre, tout indique que l'on ne comprend pas le réel, non pour la raison qu'il nous est inexplicable bien qu'identique, ce qui pour le coup relèverait de l'inexplicable; mais parce qu'il est constitué de deux textures différentes.

lundi 3 octobre 2016

La vérité et le réel

La vérité n'existe que comme le terme du réel. Si tant de philosophes envisagent la fin du réel, c'est à cause de la conception selon laquelle le réel peut être rendu en termes de donné, avec un début et une fin. La vérité va de pair avec la croyance absolue en l'être univoque. Que la vérité existe dans l'être n'implique pas qu'elle existe dans tout le réel.

lundi 26 septembre 2016

Usage de faux

Que signifie le faux? Déjà, que l'être n'est pas tout le réel, puisque le faux nécessite une place, qui est autre chose que l'être. Quand on dit d'une chose qu'elle est fausse, on reconnaît qu'elle n'existe pas sous cette forme, donc que l'on peut ne pas être tout en croyant en cette existence. 
Il existe donc autre chose que de l'être existant, instancié, en acte, qui est le possible. Dans le possible, certaines potentialités sont fausses. Et si l'on peut ne pas être, c'est que l'être accepte sa négation, ce qui ne serait pas possible s'il était le tout. L'être n'est pas le tout. Mais à quoi renvoie le faux?
En termes d'être, le faux se montre positif, en ce ce que le faux est négatif parce qu'il ne fait pas partie de la sphère de l'être - mais est-il négatif? Il faut bien que la possibilité de négation contienne une positivité, dont la caractéristique est d'être différente de l'être. Sinon, il n’existerait pas la place pour le faux. 
La condition du faux fait partie de l'être. L'être n'existe pas à côté du non-être, comme deux états séparés et irréconciliables, mais comme deux états  imbriqués, différents et complémentaires.
Comme la doxa transcendantaliste estime irréfutable que le réel ne relève que de l'être, elle n'en vient même pas à se poser la question de ce que peut bien être le faux s'il existe forcément en n'étant pas. Qu'est-il, s'il n'est pas de l'être? Que révèle-t-il sur la structure du réel? 
D'une part, que le réel est tissé de possibles, dont la pluralité va accoucher de l'existence (ce qui invalide la croyance en la multiplicité des mondes ou des multivers). Autrement dit, le possible est pluriel, quand l'existence est singulière. D’autre part, que le possible n'est pas de l'ordre de l'être, ni de l'existence, dans le sens où l'existence se déploierait selon les modalités de l'être.
Le possible relève d'une autre catégorie, et la dénomination de non-être ne convient pas pour le décrire, car on voit mal comment ce qui peut devenir de l'être pourrait commencer par n'en être pas. On ne peut être une chose à partir de son contraire, c'est pourtant l'étrange proposition que fait Aristote au début de sa Métaphysique posthume, en expliquant que l'être multiple est relié au non-être multiple, sans nous expliquer comme s'opère et s'explique cette mystérieuse alchimie. 
Reste à accorder que le faux ferait partie de cette catégorie des possibles. Il serait la possibilité qui ne s'est pas incarnée parce qu'elle contient au moins une contradiction qui lui interdit l'accès à l'existence. C'est une faculté qui ne se manifeste pas en tant qu'être et qui n'existera jamais autrement que sous cette forme dont on peut parler, sans qu'elle accède autrement à l'être. 
Cette explication est plus probante que celle que propose Descartes, qui n'hésite pas à affirmer que le néant existe dans le langage, pas dans la réalité, ni en Dieu.  Dans ce cas, comment parvenons-nous à dire ce qui est faux s'il n'est pas? Peut-on dire quelque chose d'inexistant, de non-corrélé à l'être?
Si le faux ne saurait relever de la catégorie de l'être, l'on ne peut pour autant tenir ce qui n'est pas pour ce qui ne saurait relever d'une catégorie de l'existence. Sinon, on sombre dans la contradiction dans laquelle s'obstine Descartes.
Selon Descartes, le réel n'étant constitué que d'être, il n'est pas possible d'admettre une autre issue que l'existence langagière. Il est dommage qu'il n'ait pas poussé plus loin les prémisses de son intuition, car son hypothèse est exacte : le faux ne relève effectivement pas de l'être. 
Mais la conclusion qu'en tire Descartes ne tient pas la route, à trop reprendre le sillage métaphysique : le faux ne faisant pas partie de l'être, il n'existe pas. Autant dire que Descartes illustre l'aberration vers laquelle la métaphysique est entraînée, du fait de son refus d’abandonner l'hypothèse du réel comme seul domaine connaissable. Mais cette aberration exprime vers quelle faillite mène le transcendantalisme : la volonté que l'être soit complet et total mène vers des positions qui concilient l'inconciliable.
Pour autant, la difficulté est de séparer le faux de celui qui l'exprime et le porte. Celui-ci n'est pas le faux, parce que le faux ne peut pas être. Sinon, celui qui se trompe disparaîtrait. S'il ne disparaît pas, c'est parce qu'il est un être. 
Le faux l'amène à stagner, au sens où l’erreur empêche de changer, d'aller de l'avant; elle fige, sclérose. Le faux peut être utilisé par l'être, mais l'être n'est plus du possible, tout comme le possible ne peut la plupart du temps pas accéder à l'être.
Le faux qui se trouve utilisé par un être indique que l'être recourt au domaine du malléable, ce qui confirme l'hypothèse platonicienne selon laquelle le non-être, c'est le changement. La malléabilité explique le changement, alors que l'hypothèse de l’Être ne le pouvait pas. La malléabilité est bien une faculté, pas un donné (le malléable), en ce qu'elle permet de.
Les possibles entrent en concurrence pour s'actualiser, jusqu'à ce que le plus performant réussisse, ce qui évoque la course pour la vie, telle qu'on représente la course des spermatozoïdes. En réalité cette course se situe déjà dans l'être. Elle n'est que la fin d'un marathon, dans lequel les possibles se sont affrontés jusqu'à retenir la forme épurée qui parvient jusqu'à l'être.
Quand nous disons que nous avons une grande chance d'être là ou que la vie est un miracle, nous ne croyons pas si bien dire : chaque forme d'être est le résultat de cette sélection impitoyable des possibles, ce qui fait que nous ne pouvons attendre une cause initiale, mais que nous devons distinguer l'unification à partir du multiple, de telle sorte que l'infini existerait comme l'innombrable au départ, sous la forme de myriades de parcelles contradictoires. 
Nous inversons la cause et l'effet, prenons le multiple pour le fini, l'infini pour la fin et ne parvenons à en comprendre la définition. Le terme "infini" est un terme négatif, qui en reste à signifier : "ce qui n'est pas fini". C'est une expérience que le faux permet de faire. Plus encore, il donne une représentation de ce qu'est l'autre.
Platon avait bien compris que l'existence du faux remettait en question le schéma ontologique, ce qui explique qu'il soit obnubilé par une explication qu'il ne parvient à produire dans le Sophiste - le faux ne pouvant se comprendre qu'en dehors de la doctrine de l’Être. Dans la mentalité transcendantaliste, dont l'ontologie est une expression sophistiquée, la cause importe plus que la fin - alors que l'on ne voit pas pourquoi le réel existerait sous forme d'être, avec un déroulement temporel, si la fin valait plus que la suite. Si l'origine est parfaite, ainsi que le déclare Descartes, qu'est-il besoin d'y adjoindre la suite?
Comment peut-on vouloir revenir à des origines parfaites si elles sont inatteignables de ce fait? Que le réel aille se perfectionnant est bien plus conséquent; qu'il n'ait pas de terme cadre avec cette imperfection originaire qui implique que la perfection soit indéfinissable autrement que négativement; la perfection serait un idéal, dont on ne comprend pas le sens si on lui donne une possibilité d'existence. L'idéal est ce qui permet à l'être d'avoir un sens et donne à notre représentation un caractère d’adéquation avec l'être, contrairement à ce que pensent Montaigne ou des irrationalistes plus affirmés comme les sophistes - ou des partisans de la théologie négative.
Ce qui bloque notre compréhension, c'est cette différence, non que l'intelligence ne peut penser, mais qu'elle pense avec difficulté, car elle est calibrée pour comprendre des états d'être et elle patine dès qu'elle sort de cette dimension. Raison pour laquelle elle a tant versé dans ce genre de fantasmagories.

mardi 20 septembre 2016

Le nouveau et le fini

Rentrée scolaire rétroactive pour Koffi Cadjehoun!

Quand on considère la naissance, on se pose la question de savoir d'où vient l'être nouveau. Le fait que des êtres disparaissent ne suffit pas à expliquer que de nouveaux viennent prendre leur place. Ils pourraient fort bien ne pas être remplacées et que la disparition succède à l'être. 
Le même mystère n'explique pas la naissance, comme il n'explique pas la mort. Si l'on pose question : "qui apporte le nouveau?", on peut y répondre de manière physique. Ce sont d'anciens spécimens qui portent le nouveau, par la reproduction. 
Mais cette explication en reste à l'indéfini si on recherche la cause originelle et qu'on finit pas proposer le Premier Moteur. L'explication n'en est pas une. La raison ne peut fixer l'origine sans que se pose la question de son antériorité.
Qu'y avait-il avant l’œuf? Si l'on répond la poule, c'est le cercle vicieux. La régression à l'infini indique que l'on doit chercher un complément au fini et que la logique finie tourne en rond si elle cherche à sortir du raisonnement physique.
La question est de savoir quelle est la forme de ce complément. La tradition l'a nommé transcendant et infini. Mais rien n'indique qu'il le soit. En particulier, ce qui devrait mettre la puce à l'oreille est que l'infini n'est pas positivement défini.
D'une manière générale, on peut observer qu'on en reste au négatif dans toute la tradition de la pensée, puisque la propre du transcendantalisme est de ne pas définir Dieu et de dire ce qu'il n'est pas (les définitions comme l'amour chez les chrétiens sont des analogies, recourant aux sentiments humains). 
La philosophie est incapable d'expliquer le nouveau, parce qu'elle en reste à l'infini. Son défi est de considérer à quelles conditions le nouveau peut être fini tout en étant le complément de l'être lui aussi fini.

mercredi 6 juillet 2016

L'aveuglement des comploteurs

Le complot survient parce qu'une des factions en mesure de faire le complot décide de le faire - la plus radicale, au sens de la plus désespérée. Les autres factions ne sont pas forcément au courant, ou le sont pour certaines en faisant semblant de ne pas l'être, mais ce qui compte, c'est qu'elles sont d'accord avec l'esprit du complot, avec sa mentalité, et qu'elles le seraient si on le leur demandait. 
Du coup, le complot reflète de manière plus large la mentalité d'un certain milieu dominant composé de ces factions, mais, pour la raison que sa représentation est ultra-minoritaire, et qui plus est secrète, il ne dirige rien. Raison pour laquelle les analystes en politologie estiment (de manière bien-pensante et consensuelle) qu'il s'agit de complotisme quand on dénonce des complots d’État (et d'importance).
En effet, on pourrait presque prétendre que rien n'est prévu par personne, car le complot s'intègre en fait dans un consensus plus large fondé sur le mimétisme, dont le propre est d'être aveugle et non prévu. Le complot n'est que la conséquence de cette mentalité désespérée, pas la cause. Il n'est qu'un symptôme, désespéré et voué à l'échec.

samedi 4 juin 2016

L'insuffisance

Quand Descartes définit Dieu comme ce qui est parfait, sa définition se trouve contredite par la présence conjointe du néant dans ses réflexions. L'argument selon lequel le néant n'aurait pas d'existence autre que dans le langage ne tient pas, car à ce compte, Dieu n'existerait lui aussi que dans le langage, sans que son existence soit validée par l'expérience... 
C'est une sérieuse objection à Descartes que de lui demander de montrer que les fondements de sa réflexion ont une existence effective et ne sont pas cantonnés au niveau de l'expression langagière du sujet. Le fait que Descartes universalise le sujet ne change pas cette objection, puisque le subjectivisme universalisé n'en demeure pas moins subjectiviste de part en part. L'erreur découle du fait de croire que ce qui existe dans le langage existe sous la même forme dans la réalité. Logique interne, logique externe... qui ne trouve pourtant pas de vérification dans la démarche scientifique, la seule qualifiée pourtant à décrire le réel selon Descartes. 
Ainsi, ce que Descartes nomme Dieu ne prend pas en compte l'ensemble du réel, mais l'ensemble de l'être. Descartes confond l'être et le réel, ce qui constitue l'erreur de la métaphysique, à peine modifiée entre ses deux phases. Dans la phase 1, Aristote reconnaît le non-être, mais il s'en désintéresse logiquement, à partir du moment où l’intelligence faisant partie de l'être ne peut que connaître l'être. Dans la phase 2, Descartes ne parvient pas à supprimer le non-être, qu'il nomme néant, ce qui implique, malgré l'affirmation que Dieu est infini, que Dieu soit l'être, et qu'il ne puisse être infini, s'il coexiste avec le néant.
C'est dire que Descartes n'est pas le successeur de Platon sur ce point crucial, contrairement à l'estimation de certains commentateurs qui croient se montrer avant-gardistes en rattachant Descartes à Platon, sans quoi il ne peinerait pas à définir l'infini et il définirait le néant dans le sillage de l'autre. Le fait qu'il croit que le néant est défaut ou manque, selon ses termes, le rattache bel et bien à la tradition de la métaphysique atavique, initiée par Aristote. À ce sujet, il n'existe pas d’Être, mais seulement de l'être, car l'idée d’Être implique la perfection. Or le néant est incompatible avec la perfection...
Ce que montre la coexistence impossible de Dieu avec le néant (ou du parfait avec le défaut), c'est qu'il n'est d'être qu'incomplet. L'erreur de Descartes, de définir Dieu comme le parfait associé au défaut, n'est possible que parce qu'elle porte au départ sur la croyance accordée à l'être (savoir qu'il est complet). Au-delà de la métaphysique, au-delà de la philosophie, cette croyance relève du transcendantalisme. Il s'agit de comprendre que le logiciel transcendantaliste ne pense pas le réel au-delà de l'être. 
La philosophie doit proposer l'alternative permettant de ne pas verser dans la contradiction selon laquelle la perfection va de pair avec le néant. Le terme de réel ne doit pas s'intégrer dans la perspective exclusive de l'être, sans quoi on manque l'élément qui dans le réel n'est pas de l'être. Quand Rosset, l'immanentiste terminal, qui prétend sortir de la philosophie, entend qu'il n'existe que du réel au sens littéral, il signifie toujours que le réel se réduit à l'être, et en l'occurrence le plus fini, celui du présent. 
Au risque de contredire les faux originaux, soit le réel est une partie de l'être, soit il connote autre chose que l'être. 

vendredi 3 juin 2016

Le fondationnalisme irrationaliste?

Descartes estime opérer une révolution importante quand il reprendre la distinction scoliaste entre entendement et volonté pour la transformer de manière radicale derrière l'apparence de reprise. Si les deux termes sont en effet conservés, le jugement devient une opération de la volonté, tandis qu'auparavant il relevait de l'entendement. Ce changement implique que la volonté soit capable de juger alors qu'elle ne fait qu'avaliser sans comprendre ce qu'elle juge (tout comme son lien avec Dieu, qui constitue pourtant son garant).
De ce fait, il n'est pas trop fort d'estimer que Descartes, quand il passe pour le grand fondateur du rationalisme moderne (ce qu'il est à plus d'un titre), use d'une démarche des plus étranges : car il fonde littéralement le rationalisme sur l'irrationalisme. Le fondationnalisme dont Descartes est l'éminent instigateur dans la modernité (on peut dire qu'après lui ses successeurs ne feront à leur manière que préciser cet acte) est un coup de force contre la raison, qui ne peut effectuer cette tâche et qui ne peut effectuer ce que Descartes attend d'elle.
On peut dans le même temps se demander en quoi Descartes renouvelle le dispositif irrationaliste, qui est le propre de la métaphysique depuis Aristote (qui fonde le rationalisme sur la reconnaissance aussitôt évacuée du non-être). La réponse sera comprise dans la caractérisation qui suit du rationalisme selon le cartésianisme.
Le rationalisme est un mécanisme de compréhension qui est tourné vers le monde extérieur, quand Descartes lui assigne pour tâche de comprendre plus que le monde intérieur, puisqu'il lui accorde la tâche insigne de fonder le monde à partir des fondations intérieures trouvées. Pourtant, la raison ne peut pas spéculer sur l'intériorité. Elle s'avère compétente, en particulier depuis l’époque moderne, pour effectuer des découvertes expérimentales. La raison ne peut spéculer que sur des objets réels.
Justement, quand on l'astreint à analyser l’intériorité, elle ne peut le fait que si au préalable l'imagination fabrique des objets qu'elle s'avère en mesure d'analyser. Du coup, le rationalisme est un terme mal employé pour qualifier l'opération internaliste, quand le rationalisme est justement externaliste. Le renouvellement du rationalisme métaphysique passe précisément par l'affirmation de l'internalisme, qui s'appuie sur le fait qu'elle seule est en lien avec l'infini, y compris selon des modalités assez contradictoires et mystérieuses (il est vrai que le Dieu chrétien devient chez Descartes des plus bizarres, ce tout-puissant qui se mélange néanmoins avec le néant).
Reste à se rendre compte que la critique externaliste reprend le rationalisme en jouant véritable rationalisme contre l'internalisme en tant que rationalisme dévoyé. Il faut dépasser le rationalisme si l'on veut sauver la philosophie de la pente nihiliste qui la mine et qui est la destination du rationalisme. Sorti du nihilisme, c'est sortir conjointement du rationalisme, qui est son complément, comme l'indique le Traité du non-être de Gorgias, qui est un modèle de raisonnement appuyé sur des arguments (et pourtant aussi sophistique au sens platonicien où le déploiement des meilleures raisons n'empêchera pas le fait intangible que le néant n'existe pas).

vendredi 27 mai 2016

Nom de Dieu

Qu'est-ce que que ce qu’on nomme Dieu? Au départ, Dieu est multiple, son unité vient après des dizaines de milliers d'années de polythéisme, durant lesquelles l'homme conçoit le monde morcelé, à son image. L'homme amorçant sa réunification terrestre vire au monothéisme. Premier constat : Dieu est à l'image de l'homme. Mais quelle place occupe-t-il pour nous, entre notre monde et le réel? Quand on dit qu'il est plus que le réel, cela signifie qu'il est plus que le réel littéral, dont notre monde fait partie.
Dès lors, Dieu signifie qu'il y a autre chose que le réel, qui reste indéfini, tout en étant seulement défini comme transcendant. Mais est-ce le cas? Le monde de l'homme n'implique-t-il déjà pas autre chose que le réel, si l'on s'avise que "Dieu" fait partie de notre monde, de notre perception et de notre conception? Ce n'est pas rationnellement que Dieu apparaît à l'homme, c'est créativement
La raison peut seulement se rendre compte qu'il manque quelque chose à ses cogitations. Mais elle ne peut aller plus loin. Le fait que la représentation s'avère aussi vague quand on s'avise de connaître indique que ce n'est pas la raison qui prend en charge la représentation, mais une autre faculté, qui est capable de concevoir sans connaître directement les contours.
Voilà qui ne nous dit toujours pas ce qu'est Dieu. On peut cependant proposer qu'il est notre monde et plus que le réel. De ce fait, il convient d'éliminer la définition selon laquelle Dieu nous est étranger, voire nous engloberait. Il peut excéder notre monde, mais on ne le conçoit qu'en partant de notre monde. J’irai plus loin : Dieu ne sort pas de notre monde, ce qui indique que notre monde ne peut se concevoir sans le fondement de Dieu. D'où l'unité que garantit le terme "Dieu", qui peut virer à son unicité dans le monothéisme, mais qui signifie plus largement qu'il est ce qui permet le raisonnement, celui sans lequel il n'y aurait pas de monde de l'homme.
De ce fait, le monothéisme n'est guère plus garanti que le polythéisme, et l'on peut englober les deux formes sous une forme unique : le transcendantalisme. C'est le raisonnement humain qui pousse à l'unité, touchant la réflexion sur l'être, mais rien n'indique que ce qu'on nomme Dieu soit un. Si tel est le cas, l'usage de Dieu se montre quasiment toujours trompeur, reprenant une rhétorique dont on peut deviner l'esquisse dès le polythéisme, avec la prééminence d'une divinité sur les autres, et qui touche en fait l’ensemble du transcendantalisme.
Il faudrait parler de Dieu comme ce qui ne nous est pas connaissable selon le monde de l'homme, car ce qui ne nous est pas connu mais qui est fini se montre connaissable, au moins potentiellement. Dieu serait ce qui nous permet de sortir de notre monde et de connaître au sens où il n'est de connaissance que de l'inconnu et que l'inconnu n'est possible que si le fini n'est pas l'ensemble du réel.
Dans cette optique, il importe que Dieu ne nous soit pas connaissable, sans quoi nous estimerions qu'il s'agit d'une hypothèse provisoire, inhérente à notre connaissance, et que tôt ou tard, nous parviendrons à le connaître. Seul ce que nous nommons infini nous demeure inconnaissable, ainsi que le reconnaît la Bible avec sa définition tautologique de Dieu : "Je suis qui je suis". Descartes ne dit pas autre chose, lui qui, en désespoir de cause, propose de remplacer ce terme, incompréhensible selon lui, par indéfini. Leibniz expliquera qu'on peut connaître l'infini, mais selon un mode partiel, comme par certaines opérations de géométrie ou d'autres approches arithmétiques (logiques), ce qui constitue un manière finie d’approcher l'infini.
Si Dieu est l'infini, il est deux possibilités de définition : soit il est inconnaissable, auquel cas le terme infini et son préfixe -in donnent une juste image de ce qu'est Dieu pour l'homme, quelque chose que seule une révélation nous donne la possibilité et le privilège d'approcher, même partiellement; soit il est connaissable, et alors Dieu est forcément fini, ce qui peut sembler pour le moins paradoxal, voire relever de la provocation insoutenable. Dieu fini, de qui se moque-t-on? Que ne le connaît-on pas s'il nous est familier? Nous serait-il trop familier pour qu'on le connaisse, un peu comme Heidegger estime que le chemin vers les choses familières nous est le moins évident et le plus laborieux?
Il convient d'ajouter une particularité à cette définition manifestement insuffisante : la différence. Mais cette différence doit être définie, ce qui indique que ce qui est fini n'est pas uniforme ou univoque. Comment faire pour que Dieu soit un et non-transcendant? Quelle serait cette immanence qui intégrerait la différence cardinale? L'unité se fait-elle au prix de la dualité?

mardi 24 mai 2016

L'imaginère du subjectivisme

Descartes a échoué à relier l'intériorité, dont il a assuré la certitude, avec l'extériorité, qu'il ne parvient à connaître que de manière inférieure (je sais que le réel existe, mais je suis incapable de le connaître au même niveau que mon ego; je ne le connais que de manière imprécise). Dès lors, la question qui doit se poser est : si Descartes s'est trompé de méthode, qu'a-t-il identifié quand il nomme cette chose cogito? La subjectivité n'est bien entendu pas telle ou telle subjectivité, comme celle de Descartes, mais l'expression du sujet, qui se définit comme "identité subjectiviste", c'est-à-dire comme le seul moyen dont on dispose pour fonder une identité : suivant une stabilité artificielle et fantasmatique.
Ce que trouve Descartes, c'est une partie de langage, désignant une partie de connaissance et une autre de conscience, logée dans le sujet. Ce que Descartes découvre, c'est qu'on peut fonder la certitude sur le sujet, parce que le sujet qui s'exprime, qui réfléchit, est au courant de sa propre existence. Mais cette prise de conscience n'est rien d'autre qu'un état mental qui se situe à un niveau précédant le processus de connaissance. En faire un objet de connaissance est abusif, car il s'agit d'un simple moment, voire d'un point de départ ne pouvant rester tel, exigeant sa poursuite, son externalisation. 
Raison pour laquelle il se présente comme certitude. Qu'est-ce que la certitude, si ce n'est un état que l'on ressent parce qu'on éprouve le sentiment de complétude, quelque chose qui ressemble au holisme? Mais, aussi bien que la certitude, le holisme peut-il exister? Ne signifie-t-il pas que l'on identifie une forme et qu'on la prend pour le tout, décision qui implique seulement qu'on ait identifié un moment avec certitude (donc : que la subjectivité constitue un moment, mais pas un tout). Dès lors, n'a-t-on pas mal compris que dans le processus de connaissance, l'on part de l'intériorité pour connaître l'extérieur - rien de plus? Qu'il faut bien partir du point de vue du connaissant pour posséder un point de référence, mais que le point de vue n'est rien de plus qu'un point?
La déformation cartésienne, c'est de prendre le sujet pour le "bon" niveau de réalité, au motif qu'il serait certain, complet et supérieur au reste du réel (l'extérieur). Mais on ne prend jamais que le sens dans ce qu'il a de plus connu, de plus évident : le point de départ du processus de connaissance. On fait du fondationnalisme, et toutes les découvertes fondationnalistes que l'on établit en amont relèvent ainsi de l'enflure imaginaire. On estime que le recours à la méthode rationaliste permet de connaître des choses existante. 
Mais c’est l'inverse qui est vrai : le fondationnalisme est obligé d'inventer sans cesse des fondations antérieures aux dernières trouvées. Il s'imagine que c’est grâce à la puissance de sa raison, alors que sa raison imagine pour ce faire en créant des objets par assemblages mimétiques et par projection. Au final, le "bon niveau" de sens signifie : l'invention d'un sens intérieur exponentiel d'autant plus aisé à façonner qu'aucun critère de vérification ne vient s'opposer à ses propositions, pourvu qu'elles se montrent rigoureuses selon la logique interne (donc d'un critère de vérité bien inférieur à la vérification expérimentale de type externaliste).
Rien d'étonnant à ce que le projet métaphysique de Descartes, qui devait fonder la démarche scientifique de manière certaine, ait débouché sur des réponses scientifiques incertaines. C'est qu'il repose sur quasiment rien, excepté une enflure de l'ego, qui n'est pas de nature descriptive (comme l'autobiographie), mais analytique (rationnelle), ce qui lui permet de faire croire qu'il est rigoureux de pratiquer le discours phénoménologique. Descartes n'a rien fait de mieux que d'exprimer une imagination empreinte de rationalisme (qu'il confond visiblement avec le rationalisme). Où l’on voit que le cogito est une faculté imaginaire et que la métaphysique moderne repose sur l'imagination plus que sur la raison, contrairement à ce qu'elle prétend.
Où l'on voit aussi que la raison n'est pas la faculté propre à la raison, contrairement à ce que serinent les rationalistes modernes. L'imagination est cette faculté qui se révèle appropriée pour développer les facultés internes, mais inapte à connaître quoi que ce soit de réel. Dès lors, l'externalisme (dans un sens non fondationnaliste) contredit le projet de Descartes au sens où il n'existe aucun critère de vérification excepté l'expérience, situé dans cet extérieur qui, dès lors, s'avère plus certain que l'intérieur. Le critère internaliste serait le sentiment de soi, ce qui ne garantit en rien qu'il n'exprime pas une illusion, à laquelle on croit seulement depuis quelques siècles (la parenthèse internaliste dont parle Pouivet à la suite de Kenny, par exemple).
Mais il n'existe aucun critère de vérification absolue, tant il est vrai que la certitude constitue un gage de connaissance inférieure, limitée à une partie finie et homogène, alors que la connaissance finie tournée vers l'extérieur implique un pont différentiel (en ce sens, hétérogène) entre l’intérieur et l'extérieur. Toute connaissance réaliste est ainsi forcément de cet ordre, et la connaissance tournée vers l'intérieur n'existe qu'à l'état d'introspection utilisant la description (donc l'analyse qui y recourt fait dans l'imaginaire, ce qui convient très bien au descriptif, mais s'avère anti-réaliste pour l'approche analytique).
Reste que la véritable connaissance ne peut concerne que Dieu comme principe "explicatif" (non défini) : qu'est-ce que Descartes a découvert qu'il nomme Dieu et qui est le prolongement de son ego? C'est le moyen de mettre fin à la régression à l'infini qu'implique sa quête fondationnaliste d'ordre rationnel. Mais alors, comment "Dieu", dont on trouve une signification plus mystique que métaphysique (le fondateur, au sens où le fondement permet d'arrêter la recherche introspective), pourrait être une entité infinie sise de manière privilégiée pour l'ego dans l'intériorité finie, alors qu'un tel principe ne peut qu'envelopper toutes les choses? 
Mais alors, on voit mal comment elle devrait sortir du sujet pour envelopper le réel, sinon par des pouvoirs magiques qui rappellent que nous avons affaire à un Dieu plus imaginaire que réel - et fort peu monothéiste, ni chrétien, si l'on se souvient que le Dieu des chrétiens est Trinité, soit qu'il est solidement ancré dans le réel et qu'il se révèle au sujet, selon une opération à laquelle la raison est sensible, mais qui ne saurait se limiter au rationalisme.
Connaître Dieu reviendrait dès lors à se demander si l'on peut connaître l'infini, d'autant que l'infini est une définition négative et que l'on est amené à connaître Dieu en se tournant vers l'extérieur, et non en se réfugiant dans son for intérieur. L'échec de la démarche internaliste cartésienne amène à considérer cette piste avec le plus grand sérieux. L'échec internaliste condamne l'externalisme comme piste fondationnaliste, et il convient de se tourner vers la différence ontologique pour voir si comprendre l'infini n'implique pas de sortir de la conception univoque de type ontologique (le réel est-il seulement l'être?).

lundi 23 mai 2016

L'avarice subjectiviste

La prééminence du discours à la première personne (P. 1) n'est possible que si l'on effectue une identification rapide et sommaire du sens que l'on produit avec le subjectivisme. On en vient à estimer que c'est le sens que produit le sujet qui est supérieur, ce qui implique que le sens propre au sujet soit le sens rationnel, débarrassé de toute autre propriété liée au sens et à l'imagination.
On identifie à tort l'expression humaine comme au final rationnelle, alors que la raison se trouve au service de la créativité. C'est justement le crédit accordé à ce mythe de la raison subjectiviste, du rationalisme cartésien si l'on veut, qui donne le subjectivisme, l'idée selon laquelle du moment que le principe de cohérence interne est retenu, alors l'on tient le plus haut niveau de sens (le véritable).  N'est-ce pas le critère que vante un Deleuze en représentant contemporain de la caste des universitaires, historiens de la philosophie et sorbonnards à la parole gelée (où l'on voit la révolution philosophique que Deleuze aura promue)?
Du coup, on crée la légitimation du critère ad hoc, on élit le critère qui convient le mieux au sujet qui l'énonce, qui l'universalise en produisant ses formes générales, mais on ne produit pas le plus haut niveau de sens. Au contraire, on détruit le sens, au sens où il n'est pas fait pour rester cantonné dans le sujet, mais pour aller du sujet vers l'extérieur. Telle est la connaissance. En ce sens, la forme la plus performante du sujet, c'est ce sens vers l'extérieur (en ce sens particulier, externalisme), pas le subjectivisme, qui est internalisme. 
Ce dernier déforme le sens, en n'en retenant que les caractères subjectivistes comme les plus hauts, c'est-à-dire seulement ce qui relève du sujet, et non pas la suite, c'est-à-dire la principale partie de ce qu'est le sens, sa confrontation avec la réalité. En ce sens, sa seule manifestation subjectiviste se révèle outrée et ampoulée. Il suffit de se rendre compte que le résultat le plus immédiat du sens : c'est la connaissance, qui, quelles que soient ses formes, part du sujet pour aller vers l'extérieur, et non pas, comme Descartes y incline, et plus encore Kant, et plus encore la phénoménologie, entend ne pas sortir du sujet tant que la connaissance certaine n'a pas été établie.  La connaissance n'étant jamais certaine, il ne risque donc pas d'en sortir sous cette forme, ce qui arrive dès Descartes, où il sort de la manière la plus confuse.
Au contraire, le sens présente cette particularité intrigante de ne connaître que s'il ne dispose pas de certitude initiale et s'il n'y parvient jamais, comme si le sens était fait pour proposer un type de connaissance à l'image de l'homme, être fini et incomplet. De ce fait, chercher la certitude est une chimère, qui signifie en fait l'illusion, soit le fait de prendre le domaine de la connaissance pour sa réduction à une représentation fausse et rabougrie ou raccourcie. 
L'existence de la connaissance scientifique prouve que l'on peut connaître l'extérieur du sujet et que le subjectivisme est la déformation réductionniste de la connaissance - raison pour laquelle le cartésianisme ne réussit pas à connaître. 
Par contre, il réussit à laisser croire que le moi est le domaine de l’autorité et qu'il faut partir d'un point de départ pour aller vers l'extérieur (cet objectif ne peut fonctionner, du fait que le sens est incertain). C'est l'inverse qu'il faut entreprendre : partir de l'extérieur pour connaître l'intérieur (connaître l'intérieur est possible, à condition de trouver un point extérieur d'ancrage et de vérification à la démarche d’introspection). Le cartésianisme, en entendant trouver des fondements inébranlables à la connaissance, pense triompher de la démarche expérimentaliste et instaurer le triomphe de la métaphysique chrétienne sur la physique. De ce fait, il se condamne à proposer une connaissance erronée et périmée de son vivant. 
Reste à relever que Descartes assoit la connaissance sur Dieu sur la certitude subjectiviste, et non l'inverse comme il le proclame, car il part de sa découverte du cogito pour estimer que le cogito se trouve fondé par Dieu, et non l'inverse. De ce fait, le causalisme cartésien produit une divergence entre l'ordre de son raisonnement effectif et l'ordre qu'il revendique. Mais si Dieu est le terme problématique qui découle des limites de la connaissance et qui renvoie en gros à ce qui n'est pas connaissable par la connaissance (la métaphysique est fondée sur la croyance que seul l'être est connaissable, d'où le besoin religieux en appoint), alors le Dieu cartésien se trouve incarner les fondements du subjectivisme, et non poser le problème de Dieu. 
C'est un Dieu déformé, qui ne peut pas plus être connu que ne l'est le réel, qui permet de légitimer le subjectivisme. La connaissance religieuse suivant la méthode cartésienne est forcément biaisée. De même que le réel se trouve subjectivisé - de même Dieu. Il devient le garant de la certitude et non plus le garant de l'inconnaissable en plus du connaissable. Raison pour laquelle la certitude peut côtoyer le néant : elle est la réduction inavouable de l'infini (Dieu) au fini (la certitude), ce qui rend possible qu'elle coexiste avec le néant, bien que les deux représentations soient incompatibles. 
Quant à définir ce qu'est le néant pour le subjectivisme, le geste renvoie à la reconnaissance que l'être est fini, puisque Dieu dans ce jeu de subjectivisme est un acteur inutile, qui ne parvient qu'à faire illusion sur sa teneur en infinité. Le subjectivisme s'ancrant dans le fini devient l’apanage de la métaphysique moderne, que lance Descartes. Il a été l’inspiration de la philosophie moderne qui cherche à dépasser la révolution expérimentaliste en connaissance : c'est ainsi qu'il confond connaître et posséder. 
Connaître, c'est explorer, rechercher, sans fin; posséder, c'est un état qui ne peut qu'être provisoire, au grand désespoir de l'avare et du métaphysicien. Le néant est ce qu'on ne peut posséder et qui de ce fait devient métaphysiquement inintéressant.

mercredi 11 mai 2016

L'inconnaissance intérieure

Et si le véritable moyen de saisir son ego, sa conscience, son cogito était de partir de l'extérieur? Et si le fondationnalisme exprimait un démarche qui consiste à prendre à l'envers l'évidence, selon laquelle le sujet est connecté avec l'extérieur? A vrai dire, le sujet n'existe pas en tant que tel et la seule chose qu'il peut faire quand il fait de l'égotisme et qu'il se livre à de l'introspection, c'est de créer un monde imaginaire, qui est le véritable visage de ce qu'il nomme naïvement "certitude". 
Raison pour laquelle les découvertes qu'il fait sont condamnées à une régression à l'infini : parce qu'elles constituent des inventions imaginaires, et qu'on est contraint de leur trouver un fondement, qui se trouve être Dieu pour proposer un point de départ (et stopper le cercle vicieux de la régression). On mesure l'égarement définitoire qu'instille  cette conception de Dieu. Le rôle du sujet est capital dans l’entreprise de connaissance, à condition de considérer qu'il est naturellement tourné vers la connaissance extérieure (pléonasme), seule connaissance qui a un sens (la connaissance intérieure est imaginaire, ce qui implique qu'elle se reconstruise à partir d’éléments de vérification extérieurs). 
La connaissance intérieure relève ainsi de l'illusion ou alors, c'est une analyse de son moi qui sera bientôt suppléée par l'apport des sciences cognitives et de la neurologie pour expliquer le fonctionnement cérébral de l'esprit. Cette prise de conscience implique que la définition que l'on donne de Dieu (y compris pour l'intérieur d'un individu) s'effectue par rapport à l'extérieur, pas l'intérieur. Le but sera atteint si, conjointement, on abandonne le fondationnalisme comme structure interne du raisonnement transcendantaliste et on envisage Dieu comme le résultat de la construction du réel plus que son garant.

samedi 7 mai 2016

Domaines de friction

Je lis une histoire : 
1) Première image, la Bible, avec pour commentaire : "La preuve que Dieu existe".
2) Deuxième image, le Coran, avec pour commentaire : "La preuve qu'Allah existe".
3) Troisième image, une histoire de Monsieur Chatouille, avec pour commentaire : "La preuve que Monsieur Chatouille existe".
CQFD?
Eh bien, non. L'exemple 3 implique que la preuve est virtuelle, donc que M. Chatouille est un personnage virtuel. Sous-entendu : Dieu également, que ce soit le Dieu de la Bible ou celui du Coran. Seule différence : la définition de Dieu n'est pas celle d'un personnage fictif. Le personnage désigne un objet singulier, dont il il est facile de se rendre compte qu'il est inventé, du fait de sa singularité. Tandis que Dieu, dont la définition d'ensemble s'avère des plus vagues (ce qui implique qu'on ne sache pas bien ce que ce nom désigne en fait), renvoie à plus qu'à la totalité des biens finis, dont il serait le créateur et le perpétuateur (le régisseur).
Du coup, cet argument tel qu'il est présenté ne constitue absolument pas un argument probant, encore moins une preuve, puisque l'on compare deux éléments qui ne sont pas comparables, qui plus est qualitativement. Pourtant, quelque chose accroche, dans cet "argumentaire" en faveur de l'athéisme. Mais quoi? L'idée que Dieu faisant partie de ce qui n'existe pas concrètement pourrait être comparé à un personnage virtuel, dont on est sûr pour le coup qu'il n'existe pas du tout (il est évident que M. Chatouille entre dans cette catégorie)? Serait-ce que cette analogie possède comme lot de vérité le fait que les deux ne font pas partie du champ de l'existence, en son sens le plus littéral ou réel?
Mais pourtant, Dieu n'est pas un terme qui désigne du fictif, comme l'on parlerait de Madame Bovary ou Monsieur Chatouille. Car le personnage fictif se crée au fond à partir d’éléments réels, qu'il soit plausible (Emma Bovary) ou inventé (à la manière de la licorne). M. Chatouille est ainsi un personnage enfantin, créé à partir d'une détestable habitude de chatouiller les enfants pour sois-disant les amuser. Mais Dieu? Il n'est pas fictif en ce sens, ce qui n'implique pas qu'il soit existant, et s'il est existant, c'est au titre d'une existence que l'on peut qualifier de suffisamment large sémantiquement parlant pour qu'elle ne soit pas identifiable à une existence précise, singulière, réelle.
La différence entre Dieu et une histoire de fiction tient au fait que la légende parle de l'histoire de M. Chatouille pour qualifier la fiction Chatouille, tandis que Dieu ou Allah ne sont pas présentés comme des histoires. S'ils sont faux, que sont-ils? Des fabrications consciemment mensongères? Mais alors, le mensonge aurait été démasqué depuis le temps, tant nous sommes capables, en changeant de point de vue historique et avec du recul chronologique, de distinguer entre ce qui est réel au sens littéral et ce qui n'est pas réel en ce sens. Dès lors, le religieux n'est pas un mensonge, ni une fiction. 
Qu'est-ce qu'une fiction? C'est la possibilité dont dispose l'homme de créer quelque chose qui n'existe pas et qui aura plus de sens que ce qui existe pendant un temps plus long que l'existence ordinaire. La fiction joue donc sur le sens, en proposant un sens plus puissant et clair que le sens disponible au niveau des existants. Voilà qui implique qu'on reconnaisse que la valeur du sens ne découle pas du sens disponible dans les différentes œuvres de l'existence, mais qu'au contraire, nous disposions du moyen de la fiction pour rendre notre accès au sens plus puissant. Conclusion : alors que nous existons dans un monde que nous nommons réel, nous pouvons aisément nous rendre compte que notre faculté de faire sens nous dévoile que le sens renvoie à un monde bien plus large que notre monde expérimental.
La fiction est capable de créer des personnages, pour ne prendre que celui récent d'Emma Bovary, bien plus larges que des personnes réelles, alors que nous pourrions estimer qu'ils s'en inspirent, ce qui montre que la fiction s'appuie sur une structure de sens bien plus large que la structure réelle, dont nous pouvons faire l'expérience. A ce niveau, la différence saute aux yeux : il existe dans le réel une autre réalité que l'être, ce que nous nommons l'être, sans quoi nous ne serions pas capables de créer des personnages. Si la différence était l’Être, comme le veut la tradition ontologique en philosophie, plus largement la démarche transcendantaliste en religion, alors nous ne disposerions pas de la possibilité de sortir du champ du donné pour créer des fictions - la possibilité de créer des possibles, trois termes paronymes.
Nous tenons donc la preuve que le réel ne se limite pas à l'être, mais qu'il existe en son sein une différence intime et continue. Pour pouvoir créer de la fiction, nous avons besoin de cette différence. Pour qu'il y ait des possibles, nous avons besoin de cette différence. Et même, pour qu'il y ait du faux, nous avons besoin de cette différence. Si nous ne disposions que de l'être, d'une réalité univoque, nous ne pourrions ni changer, ni sortir de la sphère de l'être. Quant à l'objection selon laquelle il pourrait exister un Être plus grand que l'être, elle ne tient pas, car elle implique que ce serait l'identique qui serait à la fois le même et l'autre.
Revenons à notre déclaration initiale pour rappeler que Dieu et Monsieur Chatouille ne se situent pas sur le terrain de la fiction. Monsieur Chatouille (ou une version plus prestigieuse et élaborée de la fiction, comme Emma Bovary) sont des personnages de fiction, mais Dieu n'est pas une fiction. Il est donc soit faux, soit vrai. Mais qu'est-ce que le vrai (interrogation que l'on prête à Pilate, le proconsul romain, qui s’interroge à juste titre sur cette valeur alors qu'il est le représentant de la puissance politique, comme s'il y avait autre chose de bien plus important que la puissance politique)? 
Si le vrai s'en tient à désigner ce qui est vrai dans le réel, alors il s'en tient en gros à la vérité expérimentale, qu'elle soit la vérité de notre expérience ordinaire (auquel cas la vérité dépend de nos sens) ou qu'elle soit la vérité scientifique (auquel cas la vérité reconnaît qu'elle se sert des sens pour aller plus loin, ce qui signifie ici encore que l'être ne suffit pas à expliquer pourquoi nous progressons dans la vérité, mais : nous progressons dans la vérité, parce que nous ne sommes pas que des donnés d'être, mais que notre double nature nous rend faillibles autant que fiables). Le vrai réel serait une valeur qui ne serait pas supérieure au beau esthétique par exemple ou au bon politique (bien que cette valeur devrait être discutée pour voir si le bon moral peut recouper le bon politique sur le long terme).
Ainsi on constate que dans la fiction, Madame Bovary ne peut être dite ni "vraie" ni "fausse", mais porteuse d'un sens plus important que le sens réel littéral. Si vérité il y a, c'est selon un sens qui est supérieur à celui de la vérité effective et qui rejoint donc le constat de valeur fictionnelle du sens plus importante que la valeur réelle. Dans le cas de Dieu, son sens est tellement large qu'il ne renvoie pas à un ou deux sens précis, qui connoteraient un ou deux mots (ou au maximum à deux expressions). Raison pour laquelle on peut l'assimiler de manière en partie plausible à un sens fictionnel manifestement faux du point de vue des critères littéraux. 
On pourrait estimer qu'à l'inverse de la démarche fictionnelle, qui part de l'homme pour élargir son expérience au-delà de l'expérience sensible qu'il éprouve quotidiennement, la démarche religieuse part du constat selon lequel il existe quelque chose (dans le sens le plus large possible, qui ne tient pas compte de la distinction animé/inanimé) qui n'est pas le monde de l'homme (car s'en tenir à la définition individuelle la plus restrictive possible, soit : le monde d'un individu, n'est pas sérieux, n'en déplaise aux kantiens - il est évident que nous savons bien que notre expérience ne s'arrête aux bornes de la représentation individuelle). Dieu signifie qu'il existe autre chose que le monde de l'homme, sans que nous sachions cependant ce qu'il y a au-delà. Qu'il existe autre chose signifie que nous sommes alors confrontés à deux significations de ce constat : 
1) Dieu qui excède le fini désigne l'infini (ce qui implique que le monde de l'homme s'étende à ce qui est fini, autrement dit à ce qui excède le monde de l'homme - exemple : on peut concevoir des galaxies qui excèdent de loin l'expérience humaine, même si on peut aussi estimer que la découverte de ces éléments de réel non humain ).
2) Dieu n'est pas seulement le créateur du monde, il est aussi son continuateur, selon la logique de la création continuée, sans quoi le monde aurait disparu depuis belle lurette, puisque nulle créature connue ne se montre en mesure de faire en sorte que ce qui se détruit sinon dans un périmètre fini (selon le principe de l'entropie) se perpétue cependant de manière impressionnante, quoique banale (où l'on mesure en passant que l’expérience la plus ordinaire s'avère aussi la plus incroyable).
Cette définition de Dieu doit au surplus reconnaître qu'elle n'est pas capable de proposer un sens qui soit exhaustif (qui s'en tienne à ces deux points ou qui en ajoute d'autres). Dieu est donc une définition dont la caractéristique principale est pour le moins surprenante : elle est flottante, au sens où elle comprend plusieurs sens distincts et, plus encore, non limités. En effet, le terme Dieu peut accueillir d'autres sens que ceux qui sont actuellement reconnus, de telle sorte qu'il est toujours en mesure d'être à la hauteur des attentes qu'on exige de lui. Raison pour laquelle on lui prête avec tant d'instance la toute-puissance. Raison aussi pour laquelle les sens que Dieu prend peuvent changer avec le temps : s'ils sont flottants, on peut ainsi passer du polythéisme au monothéisme sans dommage, de même qu'on peut parler de dieux pour des religions polythéistes différentes et évolutives. 
Le plus surprenant est contenu dans l'énoncé initial ironique, qui ne se contente pas de mettre en parallèle Dieu et Monsieur Chatouille, mais qui fait comme si un personnage de fiction équivalait à Dieu. Or Dieu n'est pas un personnage, comme on l'a vu, mais une multitude de sens, dont on peut dire qu'ils forment dans l'approche traditionnelle une seule entité, qui ne saurait être décrite comme un personnage, fictif ou réel (même un dieu ne saurait être décrit ainsi). Dire que Dieu est faux n'a aucun sens, tant sur le plan physique, puisqu'il excède bien entendu les sens en présence dans ce champ, mais aussi sur le plan fictif, puisque la fiction étend le champ de l’expérience en conservant la structure du sensible, dont la principale manifestation est le sensible (il n'est pas dans les moyens de la fiction de se passer du sensible ou de mettre en scène de manière prolongée et crédible une force qui ne serait pas singulière, mais qui serait collective par exemple, sans aller jusqu'à faire de cette entité Dieu).
Dire que Dieu est vrai n'a aucun sens non plus, du moins si l'on s'en tient aux deux sens de vérité que l'on vient de trouver, sur le plan physique et sur le plan fictionnel. Dieu exprime une autre réalité que la réalité fictionnelle, qui déjà exprimait une autre réalité que le réel. Si l'on récapitule, le réel est l'ensemble fini de ce qui est physique, donc extérieur à l'homme, mais qu'il peut connaître. La réalité fictionnelle constitue le moyen pour l'homme d'étendre sa connaissance, mais avec une précision : si la réalité recomposée peut être d'inspiration réelle au sens littéral, le réel n'est qu'un moyen, jamais la fin. Ce que la fiction a en vue, c'est d'agrandir le domaine du fini en s'occupant d'infini (en gros, par l'analyse des sentiments, et via eux de la réalité qui du coup se donne à voir différemment).
La fiction est une technique qui dépend de la faculté de l'homme de développer son champ d'expérience en direction de l'infini. Mais Dieu ne dépend pas de l'homme dans le même sens. S'il reste lui aussi une création de l'homme au niveau du langage, il ne désigne pas une création de l'homme, au sens où il existe indépendamment de l'homme. Il désigne ainsi la reconnaissance du réel qui est extérieur à l'homme et qui est infini (pouvant comprendre en son sein le fini). Du coup, c'est à un autre type de réalité qu'on se trouve cette fois confrontée. Sa principale caractéristique : son indétermination. Raison pour laquelle il est si difficile de définir précisément Dieu. 
Chacun sait qu'il désigne le plus large des champs envisageables de réel, mais chacun sait bien aussi, d'où les nombreuses contestations, que cette reconnaissance irréfutable au départ se montre si large qu'elle en devient confuse. Dieu est donc une entreprise aussi incontestable que confuse, irréfutable si on prend son point de départ, mais de plus en plus contestée si l'on s'avise de la définition qu'elle propose, et qui pourrait s'en tenir à une pirouette tautologique résumée par cette définition dans l'Ancien Testament : "Je suis qui je suis". Rien à redire à cette proposition, sauf qu'elle veut tout et rien dire à la fois et qu'il serait temps qu'on se mette en peine de définir ce qu'on nomme Dieu, ou le divin. Sauf qu'il faudra pour ce faire résoudre la difficulté principale, plus obscure que le Sphinx : l'énigme de l'infini.

samedi 30 avril 2016

La reconnaissance du faux

Montaigne, dans l'Apologie de Sebond, déclare que "dire : "Il fait beau" ou dire : "Je mens" ne sont pas des propositions de même signification, car l'un répercute un fait positif, tandis que l'autre évalue, en considérant que le jugement est de type négatif. Le jugement n'est pas un fait. Donc : si le fait peut à bon droit prétendre relever de l'être, le jugement n'en est pas. Il exprime une autre réalité. Laquelle?
Ce constat est renforcé par la possibilité que l'évaluation soit négative. Un fait ne peut être négatif. Si l'on dit ainsi : "Il ne fait pas beau", un jugement est associé à la négation. Dire quelque chose de négatif, ce n'est pas ajouter quelque chose au positif implicitement affirmé. Il y aurait même hiatus entre les deux notions. On n'accède pas au positif à partir du négatif, par exemple par élimination, comme c'est le cas chez Descartes (ce qui signifie que le négatif cartésien n'en est pas vraiment, contenant en lui une positivité masquée).
Le fait est, dans la mentalité ontologique qui affirme qu'il n'est que de l'être, qu'il existe du négatif qui n'est pas réductible à du positif (cette dernière catégorie de négatif montre seulement que l'on veut isoler un positif qui est la vérité, tandis que ce qu'on prend fallacieusement pour du positif s'avère à y bien regarder moins vrai, ou faux; mais cette reconnaissance implicite, comme c'est le cas chez Descartes, s'avère intenable, car elle rétablit le négatif comme une catégorie qui ne peut être existante sans être incohérente; mais qui ne peut pour autant s'en tenir à la solution de Descartes de le cantonner dans la sphère seule du langage, comme s'il était possible de dissocier langage et réel).
Qu'une partie du langage répercute l'existence de quelque chose qui n'est pas de l'être à côté de l'être explique qu'on ait traité avec un malaise palpable ces sujets qu'on ne parvenait ni à expliquer, ni à définir. Soit on a convenu qu'il s'agissait d’Être, mais d'une catégorie étrange, étant indéfinissable, puisque inexplicable et incompréhensible; soit on a refusé d’expliquer le négatif, moins par paresse que par gêne. 
On en voit une application moderne dans le cartésianisme, qui ne craint pas la contradiction quand il affirme que Dieu est tout-puissant, quoique le néant existe à côté. L'explication que propose Descartes se révèle un peu légère : les agissements de Dieu étant trop transcendants à notre raison, ils sont inexplicables; en conséquence, cette coexistence n'est contradictoire qu'à notre niveau limité, mais Dieu sait y pourvoir. Si le néant fait seulement partie du langage, c'est ainsi pour mieux donner des raisons, à défaut d'expliquer, de cette situation inexplicable, mais ce n'est pas grave, car elle se trouve confiée aveuglément à Dieu.
Ce néant d'un point de vue rigoureux signale simplement ce que la plupart ne veulent pas voir, prisonniers qu'ils sont du mythe de l'être (ainsi d'Aristote) : qu'il existe dans le réel (entendu comme l'ensemble de ce qui est au-delà de l'être, y compris des limites de formulation inhérentes au langage) quelque chose qui n'est pas de l'être, alors qu'on entend précisément que l'être constitue l'ensemble des choses physiques (l'être) ou transcendantes (l’Être). Quand on estime qu'existe seulement de l'être, on admet le non-être, comme chez Aristote, ce qu'on ne dit jamais en étudiant ce philosophe cardinal, parce que ce serait reconnaître que l'histoire de la philosophie, en n'étudiant que ce qu'elle pouvait étudier, est passé à côté de l'essentiel de sa tâche : expliquer l'être à partir du mystère de ce qu'on nomme en langage d'être : "ce qui n'en est pas".
Dans les autres cas, les philosophes qui admettent le non-être (ou le néant) pour estimer que c'est une catégorie dont on ne peut rien dire font de la frime (ainsi de Descartes, ce qui permet de se rendre compte que Descartes sur l'essentiel se montre plus aristotélicien que platonicien). Leur but n'est pas tant de se poser la question de la texture du réel que d'éliminer ce qui selon eux n'est pas de l'être. Au lieu de se demander pourquoi il existe du faux, ils s'en servent comme d'un moyen inavouable qu'on ne peut interroger, mais qui permet de déterminer ce qui est réel à partir de ce qui ne l'est pas.
Ce qui compte alors, c'est d'exprimer une hiérarchie dans le réel entre ce qui est vraiment de l'être, et ce qui l'est moins (l'être intérieur est ainsi le véritable être, relié à l’Être des êtres, Dieu, tandis que le réel au sens littéral est de l'être certes, mais dévalorisé). 
Au lieu de se demander ce qu'est le réel dans son intégralité, on décide que ce qui compte, c'est que l'on identifie le vrai réel. Cette démarche aboutit à l'égarement épistémologique sous prétexte de chercher un autre problème que la question ontologique. Non plus ce qu'est l'être, ce qui implique de prendre en charge la question de l'ensemble, qui est la plus épineuse des questions (puisque s'il existe un extérieur à l'ensemble, alors cet ensemble s'avère insuffisant - d'où la question : faut-il concevoir l'ensemble en termes de tout?); mais tenir compte du fait qu'on n'arrive pas à répondre à cette question, et dès lors décréter qu'il convient de déplacer le problème, au lieu de l'affronter.
Cette démarche est typique d'Aristote pour que la philosophie soit un exercice point trop complexe : ne s’occuper que d'être fini, le restant étant vaguement rejeté comme du non-être, qui n'est pas connaissable (puisqu'il est relié à l'être sous une forme inconnue, quoique multiple). Bientôt, on n'en parle plus.
Descartes va plus loin : la faiblesse fondamentale de la métaphysique 1 était de ne pas avoir d'assises solides (étant entendu que le Premier Moteur relevait de l'incohérence caractérisée). Descartes s'attache à édicter les fondations de l'être. Il propose Dieu, mais son Dieu est particulier, puisqu'il possède des caractéristiques irrationalistes (ou arationalistes?), capables de conjuguer l'infini avec le néant. Il faudrait savoir : si Dieu est infini, il ne peut supporter la moindre coexistence; s'il existe à côté du néant, il n'est pas infini.

Conclusion : cette conception du faux sert dès lors plus à bloquer la vérité au niveau d'un certain modèle clair, mais faux, qu'à la chercher.

jeudi 28 avril 2016

Le retour du sens

Le subjectivisme signifie que le sens auquel on a le plus immédiatement accès est aussi le meilleur et le plus performant. Mais cette approche n'est satisfaisante que dans un premier temps. Dès qu'on l'approfondit, on se rend compte que tel n'est pas le cas, pour une raison simple : l'accès de la conscience à la vérité n'est pas l'accès d'un sujet stable et autonome qui est une fiction rationaliste. Autrement dit, le sens auquel le sujet a accès n'est pas un sens privilégié, de même que la démarche cartésienne selon laquelle on commence par connaître en soi avant de connaître à l'extérieur n'est pas une démarche privilégiée (du nom de subjectivisme).
S'il n'est pas possible de définir en quoi le sens subjectif serait supérieur aux autres sens, au point qu'il joue le rôle de passeur entre Dieu et la connaissance, rien que ça, c'est parce que le sens se tient autant dans le réel que dans l'être doué de connaissance. Il n'y a pas de sujet au sens moderne. Il n'y a que des facultés utilisées par des individus en fonction de réactions à des phénomènes extérieurs. Le sujet en ce sens n'est que provisoire, toujours condamné à jouer un rôle de réceptacle. Raison pour laquelle on croit que l'on tient tout le sens si l'on tient le sens subjectif, alors qu'il ne s'agit que d'un bout de sens.
Pas d'un sens particulier qui serait différent des autres sens - d'un bout de sens qui est alors abusivement mis en valeur, alors que le sens est partout présent ou n'est pas. Ainsi on ne fait sens que si on reçoit du sens. Le sens indique très clairement que le sujet n'est qu'une partie et que la faculté de l'homme à faire sens, si elle est la plus évoluée au niveau des êtres que l'on connaît, est au service de quelque chose qui n'est pas situable dans une partie du réel (ce qui relève de l'aberration), mais qui concerne le développement de l'ensemble de ce réel.
D'où deux conséquences : 
1) La mystification du subjectivisme, qui ne parvient qu'à proposer un sens individualiste, engoncé dans son expression individuelle nécessaire, mais non pas finale.
2) Le fait que le sens n'a pas besoin d'une mise au point philosophique tant qu'il s'exprime comme une démarche particulière, ainsi que c'est le cas des sciences humaines ou des sciences. Car ce sens dont le propre est d'être particulier et limité est un certain sens. Mais il est aberrant d'avoir voulu coiffer ce "certain sens" d'un sens universel qui ne s'universalise qu'en commençant par le sujet et en y restant d'une certaine manière, puisqu'il n'en sort que d'une manière clairement incertaine et inférieure.
La connaissance intérieure est une citadelle qui ne pouvait qu'être assiégée et qui a fini par rendre les armes au vingtième siècle chrétien. A un moment où l'homme avait besoin d'un paradigme centré sur lui-même, Descartes a proposé son cogito. Mais maintenant, l'homme a besoin de sortir de lui-même et d'aller dans l'espace. 
Il a donc besoin, non pas de promouvoir la primauté de la connaissance intérieure parce qu'il a peur de ne pas connaître et d'en rester à la méconnaissance superficielle, mais de comprendre pourquoi il connaît si bien et sans effort (pourquoi il est plus fiable que faillible).