mardi 9 février 2016

Le recours à la sophistique chez Descartes.

On ne remarque pas assez que Descartes est ce qu'on nomme couramment un sophiste, au sens où, face à une difficulté, il préfère jouer avec les mots que s'assurer de leur réalité, ce qui signifie de leur connexion avec les objets. C'est ainsi qu'il définit la liberté comme ce qui est compatible avec la Providence (Leibniz notera dans ses Remarques sur les Principes l'absence de logique qui préside à cette affirmation). De même, le néant coexiste à côté de Dieu, bien que Dieu soit l'infini. Cette inclination pour le paradoxe vient moins de ce que Descartes choisirait d'inféoder la raison à la Révélation que de son refus orgueilleux de reconnaître qu'il ne sait pas, bien qu'il ait appliqué sa méthode. S'il arrive à Descartes de reconnaître que les choses sont ainsi, parce que la Bible le dit, comme au sujet de la liberté justement, la plupart du temps, il tient à montrer que sa méthode mène à la vérité. S'il lui reconnaissait des limites explicatives, il serait contraint de reconnaître qu'il n'a pas réussi à édifier sa théorie rendant possible la connaissance - et il aurait dû cesser ses expériences scientifiques, dont on comprend les résultats catastrophiques du fait qu'elles sont adossées sur une méthode erronée. La connaissance du réel s'obtient par le raisonnement circulaire de type interne, sans besoin de le vérifier par l'expérience externe, du fait que la théorie s'est obtenue en s'appuyant sur la croyance dans la possibilité que le rationalisme soit la méthode qui fonctionne. Mais produire un raisonnement cohérent à partir d'un petit nombre de prémisses, ce qu'il revendique dans le Discours de la méthode, est envisageable comme possible sans que le résultat plausible ou hypothétique ne soit réel. Descartes confond le certain et le possible, comme il confond la certitude et l'intériorité. Le sophisme s'appuie sur la trop grande confiance accordée au langage, comme si employer les bons mots suffisaient à dire quelque chose de réel et de vrai (l'orgueil de bien parler entre bien entendu en jeu dans ce sentiment de confiance exacerbée). Mais cet aspect sophistique de Descartes ne doit pas faire oublier que l'ensemble de sa philosophie ne repose heureusement pas sur cette technique rhétorique (s'appuyant sur le fait que Descartes s'avance en remarquable styliste). Les fondements de cette oeuvre fondatrice (de la philosophie moderne, donc de la métaphysique éponyme) s'appuient sur la confiance aveugle et obligée (plus que naïve) dans le préjugé selon lequel le réel est l'être et, in fine, l'être est stable (donc la vérité en tant qu'ensemble peut être atteinte). La stabilité de l'être n'est certes pas définissable (sans quoi l'échec de Descartes serait patent) et Descartes présente l'intelligence de faire de Dieu l'unique connaisseur du réel capable de le décrire et de le définir, mais le fait que la possibilité soit, et que cette possibilité soit en même temps nécessaire (condition sine qua non pour qu'elle ressortisse de l'attribution divine) implique implicitement que la connaissance soit possible, même sans la maîtrise de ses fondements, et que, en particulier, la connaissance scientifique soit viable. On ne remarque pas assez les conditions implicites sur lesquelles s'élabore la réflexion de Descartes et sans lesquelles ses techniques sophistiques seraient démasquées.

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