vendredi 3 juin 2016

Le fondationnalisme irrationaliste?

Descartes estime opérer une révolution importante quand il reprendre la distinction scoliaste entre entendement et volonté pour la transformer de manière radicale derrière l'apparence de reprise. Si les deux termes sont en effet conservés, le jugement devient une opération de la volonté, tandis qu'auparavant il relevait de l'entendement. Ce changement implique que la volonté soit capable de juger alors qu'elle ne fait qu'avaliser sans comprendre ce qu'elle juge (tout comme son lien avec Dieu, qui constitue pourtant son garant).
De ce fait, il n'est pas trop fort d'estimer que Descartes, quand il passe pour le grand fondateur du rationalisme moderne (ce qu'il est à plus d'un titre), use d'une démarche des plus étranges : car il fonde littéralement le rationalisme sur l'irrationalisme. Le fondationnalisme dont Descartes est l'éminent instigateur dans la modernité (on peut dire qu'après lui ses successeurs ne feront à leur manière que préciser cet acte) est un coup de force contre la raison, qui ne peut effectuer cette tâche et qui ne peut effectuer ce que Descartes attend d'elle.
On peut dans le même temps se demander en quoi Descartes renouvelle le dispositif irrationaliste, qui est le propre de la métaphysique depuis Aristote (qui fonde le rationalisme sur la reconnaissance aussitôt évacuée du non-être). La réponse sera comprise dans la caractérisation qui suit du rationalisme selon le cartésianisme.
Le rationalisme est un mécanisme de compréhension qui est tourné vers le monde extérieur, quand Descartes lui assigne pour tâche de comprendre plus que le monde intérieur, puisqu'il lui accorde la tâche insigne de fonder le monde à partir des fondations intérieures trouvées. Pourtant, la raison ne peut pas spéculer sur l'intériorité. Elle s'avère compétente, en particulier depuis l’époque moderne, pour effectuer des découvertes expérimentales. La raison ne peut spéculer que sur des objets réels.
Justement, quand on l'astreint à analyser l’intériorité, elle ne peut le fait que si au préalable l'imagination fabrique des objets qu'elle s'avère en mesure d'analyser. Du coup, le rationalisme est un terme mal employé pour qualifier l'opération internaliste, quand le rationalisme est justement externaliste. Le renouvellement du rationalisme métaphysique passe précisément par l'affirmation de l'internalisme, qui s'appuie sur le fait qu'elle seule est en lien avec l'infini, y compris selon des modalités assez contradictoires et mystérieuses (il est vrai que le Dieu chrétien devient chez Descartes des plus bizarres, ce tout-puissant qui se mélange néanmoins avec le néant).
Reste à se rendre compte que la critique externaliste reprend le rationalisme en jouant véritable rationalisme contre l'internalisme en tant que rationalisme dévoyé. Il faut dépasser le rationalisme si l'on veut sauver la philosophie de la pente nihiliste qui la mine et qui est la destination du rationalisme. Sorti du nihilisme, c'est sortir conjointement du rationalisme, qui est son complément, comme l'indique le Traité du non-être de Gorgias, qui est un modèle de raisonnement appuyé sur des arguments (et pourtant aussi sophistique au sens platonicien où le déploiement des meilleures raisons n'empêchera pas le fait intangible que le néant n'existe pas).

Aucun commentaire: