vendredi 30 décembre 2016

Concertation

Comment les gens font-ils pour agir d'une manière identique et commune sans se concerter? Le complotiste estime que la concertation généralisée est possible, jusqu'à parler d'un mode de fonctionnement majeur, selon lequel on peut agir ainsi à condition de se cacher. 
Que des complots existent, personne ne le nie. Mais que les complots soient généralisés, voilà le problème. On sait qu'il existent et qu'ils sont cachés, à condition qu'ils soient limités. 
Donc le complotisme confond ce qui relève de la concertation et ce qui n'est pas concerté, en estimant qu'on ne peut présenter tant de ressemblances comportementales sans se concerter.  Pour expliquer une concertation invisible, il recourt à l'explication par le caché : si la concertation n'est pas visible, c'est qu'elle est cachée.
D'où l'importance délirante accordée au complot, qui est attesté historiquement, avec une spécificité historique qui l'arrange bien : l'augmentation des complots en période de crise lui donnent un alibi pour sa théorie, qui commence par être fondée sur une exagération historique sans doute outrancière, puis qui, quand elle verse dans la généralisation abusive, sombre alors dans la paranoïa cette fois inacceptable pour tout esprit raisonnable (c'est-à-dire entendant raisonner sans exagération, ce qui est le propre de la paranoïa).
Le fait que les complots augmentent en période de crise signifie que le mimétisme augmente par manque de repères. Autrement dit, la crise signifie qu'on se réfugie dans le comportement fondamental, qui n'est pas du tout le comportement maximal, mais au contraire le minimal s'il est le point de départ.
Du coup, le complotisme révèle en creux le mécanisme qu'il refuse de reconnaître et qui pourtant constitue l'explication fondamentale, mais pas décisive, du fonctionnement du comportement humain. Il est possible avec le mimétisme de reprendre les comportements d'autrui sans en avoir conscience. 
Pour ce faire, il convient d'expliciter la raison qui meut le mimétisme : quand on dit que l'on reprend les comportements d'autrui sans s'en rendre compte, qu'entend-on par ce terme? On ne reprend en effet pas n'importe qui, de manière aléatoire, mais une catégorie de personnes bien précise : les plus forts.
Ce qu'on nomme les plus forts désigne ceux qui ont atteint le maximum de puissance sociale, avec les valeurs qui vont avec (pouvoir, argent...). Cela implique que cette catégorie n'est pas stable, n'en déplaise aux fantasmes des oligarques sur ce sujet, mais fort versatile, car ce qui est fini l'est dans tous les sens du terme.
On brûle d'imiter le plus fort, car il est la valeur supérieure du fini, tandis que le mimétisme est la faculté propre du fini, raison pour laquelle elle est aussi la faculté fondamentale de l'homme quand il se meut dans le réel. Le plus fort au fond ne veut rien dire. La force implique l'automatisme et la facilité. 
Quand on réfléchit ainsi, on prend le mimétisme pour la loi qui régit le comportement humain, alors que le mimétisme n'est que le fondement à partir duquel l'homme développe ses facultés de créativité. 
Si le comportement humain fonctionnait seulement sur le mimétisme, alors le complotisme serait la bonne interprétation du comportement humain. Qu'est-ce que le complot, si ce n'est la croyance selon laquelle on peut faire fonctionner le monde de l'homme, en estimant que l'homme dispose des moyens de diriger le réel?
Où l'on voit que le complot ne fonctionne pas, c'est qu'il est obligé de recourir aux normes, en guise de lois, de la concertation cachée, minoritaire et influente, comme s'il ne pouvait pas agir au grand jour. Cela signifie que s'il est obligé de se cacher, le complot a une influence limitée, pas forcément sur le moment, car s'il est monté par des gens puissants, son influence peut être très grande, mais sur le terme. Raison pour laquelle les complots finissent toujours par échouer : c'est que leur structure est vite déclinante.
Le complot devient un acte désespéré et promis à l'échec, parce qu'on ne peut diriger la société tout en faisant une concertation cachée. Le complotisme exprime dès lors la fascination exagérée et incroyable, littéralement, pour un domaine (le caché créé et dirigé par l'homme) qui apparaît saugrenu tant qu'il n'y a pas de crise - et qui ne fonctionne en temps de crise que parce que de plus en plus de gens sont tellement perdus qu'ils sont prêts à tout pour entretenir à tout prix le sens dont ils ont l'habitude dans le monde - sans se rendre compte que ce sens est fini, dépassé, et que la bonne nouvelle est qu'il est possible d'en changer.
Le complotisme est une mentalité désuète et réactionnaire, refusant le changement alors que le train est déjà passé. De ce point de vue, il consiste exactement à désigner comme ceux qui dirigent de manière pérenne une caste d'hommes, les "comploteurs-dominateurs", qui ont dû occuper certaines responsabilités, mais d'une manière moindre que celle qui leur est imputée par grandiloquence. En outre, leur domination partielle et surévaluée est soit déjà passée (exemple : les Rothschild), soit en voie de passer (exemple : les Seoud).
Le principe qui disqualifie l'action du complot et qui explique pourquoi il échoue toujours est qu'aucune action publique ne peut être intentée sans qu'elle soit publique. En outre, aucune domination cachée n'est pérenne, car elle repose sur des mécanismes trop aléatoires et imprévisibles.


Les dénonciateurs-complotistes, bien qu'ils s'en défendent, y trouvent la stabilité qui fait défaut, dans le réel. Le monde complotiste est peut-être un monde affreux et condamnable, dont ils sont les victimes, mais c'est au moins un monde qui donne sens au réel - cela implique donc que le réel vu par le complotiste est absurde, donc que le complot vient pour lui donner un sens, qui ne résout pas le problème général du sens, mais qui le résout au moins sur le plan social et politique, pour l'homme.
Que le complotiste soit en outre manipulé par les instances-relais de la domination qu'il dénonce de manière fantasmatique, s'avère d'autant plus drôle (et cruel) qu'il pense avoir éventé la manipulation, lui être imperméable, dans le moment où il fonctionne de la manière la plus mimétique qui soit, une forme naïve et simpliste, selon laquelle il n'est pas besoin de comprendre pour penser.
Mais selon ce mode de pensée, l'action est inutile, puisqu'elle se résume à empêcher les choses de changer - donc à ne pas agir. L'action devient ainsi superflue, ce qui est un comble pour une pensée critique de l'engagement politique. On peut même conjecturer que la compréhension se trouve remise en doute, à partir du moment où le principe de contradiction est ébranlé au profit de l'inconséquence dérisoire - forcément médiocre.

dimanche 11 décembre 2016

Le futur de l'être

Dieu n'est pas ce qui existe déjà, mais ce qui devrait être représenté comme ce qui est à venir, et qui n'existe donc pas. Le propre du réel n'est pas d'avoir été ou d'être en ce moment (ici et maintenant), ce qui n'est qu'une présence soumise à la négativité ou promise à l'être bientôt. Le plus intrigant est que ce qui est se situe devant, au sens où il n'est pas déjà, mais où il s'avance en promesse indubitable, quoique incertaine. Au sens propre, l'être est un terme impropre, puisque seul l'être au futur existe, un sera aussi nécessaire qu'imprévisible (sa liberté réside dans ce deuxième attribut).
Mais l'être qui est devant n'est pas déjà écrit au futur, ce qui n'a guère plus de sens que la croyance selon laquelle l'être est déjà écrit au passé. Cela signifie tout simplement qu'il n'existe pas d'origine, mais qu'il convient plutôt de supprimer la quête des origines, comme un mythe introuvable - raison pour laquelle on l'a tant cherché et on ne l'a jamais trouvé.
L'être n'existe qu'à l'état de succédané instantané et ne vaut donc que si on le conçoit au futur. Si on le conçoit au passé on recrée une situation qui est artificiellement concevable, mais qui a l'inconvénient majeur de l'isoler, au sens chimique, de la manière complexe dont il se déploie et se manifeste : car l'être ne se manifeste que de manière simultanée et concomitante (cet terme convenant peut-être mieux), selon un processus dans lequel il n'est pas d'être sans l'adjonction de la faculté différente de malléabilité.