mardi 31 janvier 2017

La mauvaise identité

Descartes a établi un point de certitude qui n'existe pas. Ce prodige peu banal explique sans doute la raison pour laquelle il n'a jamais réussi à relier ce point si indubitable avec son extérieur - tout comme le succès invraisemblable et immédiat qu'il a reçu s'explique par le fait qu'il rend la métaphysique de nouveau inattaquable. 
Qu'a donc trouvé d'irréfutable Descartes si ce n'est du réel? L'élément de réel qu'il a bel et bien trouvé, mettons le moi, ou tout autre terme équivalent (cogito, etc., ne pinaillons pas comme les cartésiens), peu importe, il l'a déformé, c'est-à-dire mal compris. Il a pris un élément de physique pour un élément de métaphysique.
La métaphysique n'existant pas, il s'agit simplement d'une hypertrophie du langage qui dans un retournement narcissique estime que le réel ne suffit pas et qu'il convient toutes affaires cessantes de le parer d'atours plus en phase avec le standing ontologique à part dont il se targue... 
Mais alors que le réel parvient à édicter un lien entre le sujet et l'objet, même avec difficultés et tâtonnements, la métaphysique échoue, parce que le langage, quand il verse dans la promotion de lui-même, estime que ce qu'il crée existe sous la forme qu'il crée, donc d'une manière artificiellement supérieure à ce qui existe seulement "naturellement". Descartes a donc repéré confusément qu'il y avait quelque chose de plus que le réel - et le réel. 
Mais il n'a pas su distinguer ce qu'était ce quelque chose, qu'il ne définit pas, qu'il ne peut surtout définir, sous peine de voir tout son bel ouvrage s'effondrer. Il en trouve forcément une trace dans le sujet, parce que le langage est intérieur, et que cette prééminence lui donne une particularité qu'il a prise pour de la certitude. 
Du coup, le cogito ne peut pas avoir de lien avec l'extériorité, parce que ce n'est pas au niveau du réel que se produit l’identité fictionnelle (que produit aisément le langage) que découvre Descartes, et qu'il identifie mal cette existence non réelle qu'il découvre. 
D'où une loi qui semble se dégager : la connaissance ne s'opère que si un pont se met en place entre le sujet et l'extérieur. Si tel n'est pas le cas, il se peut que ce soit une intuition qui soit bonne, mais elle sera aussi et surtout confuse (déformée). Tel est le cas chez Descartes.
En tout cas, c'est aussi le seul moyen dont on dispose pour vérifier qu'il s'agit d'une théorie plausible. Raison pour laquelle Descartes n'a jamais rien trouvé en science et tant en métaphysique : non seulement il prend la réalité intérieure pour la réalité supérieure, mais il estime que le progrès physique a besoin d'un fondement métaphysique (que la certitude ne peut qu'être métaphysique, ce qu'en un certain sens elle est, c'est-à-dire en tant qu’illusoire). Pourtant, on ne peut connaître que si on réussit à connecter la partie inférieure et intérieure à l’extérieur supérieur. C'est à ce prix que la quête du fondement est démasquée comme un mythe tenace, qu'il reste à déboulonner.

samedi 14 janvier 2017

Le Bien relatif

Pourquoi les notions de bien et de mal vacillent-elles en ce moment, comme l'exprime le titre de Nietzsche, Par-delà bien et mal? Parce qu'elles sont relatives à un certain domaine de réel. Mais les bornes du bien opposées au mal tracent une limite intérieure curieuse, dans laquelle le mal est fini, quand le bien est illimité (raison pour laquelle la notion de bien diverge de la représentation qu'en propose l'éthique, au début de manière satisfaisante, car elle semble se défaire enfin du moralisme, puis ensuite en révélant qu'elle s'avère en fait tronquée). 
En général, on présente les limites morales comme occupant tout l'espace du réel, mais la prise en compte de l'illimitation du bien, son "infinité", n'étant pas intégrée, cette prétention se montre dès lors exorbitante. Si l'on accepte l'évidence que la morale ne recouvre qu'un certain territoire, ce qui entre en contradiction avec sa volonté de tout évaluer, de tout régenter, de tout connaître, et si le jugement se fonde sur la disposition morale, cela implique que les évaluations portées par l'homme se montrent relatives, au sens, non où l'homme est la mesure de toutes choses, mais où il ne peut s'appuyer que sur des valeurs relatives à l'être. 
Pourtant, c'est cette relativité qui s'avère positive. Autrement dit, la positivité n'a pas besoin d'être absolue, comme incline à le croire une certaine tradition. Il suffit qu'elle soit malléable pour que sa positivité soit compatible avec la relativité. Il en ressort que le bien et les questions de morale ne sont pas prioritaires (c'est l'erreur que l'on peut imputer au moralisme, mais aussi à l'équivalence Bien = Beau = Vrai), erreur qui ne peut provenir que de la croyance exagérée en l’Être, selon laquelle l'Etre s'appuie sur l'équivalence tripartite précédente, mais que l'on parvient à rétablir si l'on s'avise de l'existence complémentaire à l'être du malléable.