dimanche 12 février 2017

L'explication cachée

Le complotisme naît du fait qu'on ne peut tout expliquer. Comment rendre explicable ce qui est inexplicable? Pour y parvenir, on décrète que l'inexplicable est explicable.
Il faut ici remarquer que l'inexplicable peut se prévaloir de différentes catégories, par exemple qu'on peut décréter qu'il restera quoi qu'il arrive inexplicable dans son intégralité. Dans ce cas, ce qu'on peut expliquer peut se montrer étendu, mais superflu, puisque l'essentiel ne peut être expliqué.
On voit que le complotisme se situe du côté de l'option selon laquelle l'inexplicable peut être expliqué. Mais c'est une inflexion très particulière, selon laquelle l'inexplicable l'est pour la majorité des hommes, mais pas pour une minorité, qui quant à elle détient les clés de l'explication, mais du coup entend garder son pouvoir en cachant la vérité à la majorité de ses congénères.
Autrement dit, l'inexplicable peut être expliqué par l'homme, mais par une catégorie qui s'empresse de le garder caché. La position se montre à la fois radicalement rationaliste (l'homme peut accéder à toute la connaissance) et obscurantiste au sens le plus littéral (seule une petite catégorie peut y parvenir, ce qui implique que le restant reste dans l'ignorance, vision pessimiste entre toutes).
Le complotisme choisit ainsi une inflexion radicalement rationaliste (explicable par l'homme), mais aussi radicalement contradictoire. Du coup, le problème est qu'il parvient à tout expliquer à l'en croire, mais son explication n'est satisfaisante que tant qu'on n'en voit pas la contradiction fondamentale, et béante (par exemple :  comment savoir qu'une élite est parvenue à tout expliquer, mais maintient cette explication cachée, en y parvenant?).
L'hypothèse complotiste ne fonctionne que par temps de crise, quand le sens s'effondre et que les repères qui permettent de déterminer ce qui fait sens et ce qui s'avère absurde s'effondrent.
On rend par un coup de force explicable ce qui est inexplicable, en limitant l'explication à la dimension politique, économique et sociale. Peu importe que la connaissance porte au moins autant sur le domaine scientifique, et l'excède sans doute en religion, la philoosphie se situant entre le deux.
Pour le complotiste, seul compte le monde de l'homme. Malgré cette restriction problématique, le complotisme n'est pas en mesure d'expliquer le monde de l'homme et son hypothèse n'est qu'une entourloupe (raison pour laquelle elle est récupérée et enrichie par les manipulateurs de services secrets qui s'en servent pour discréditer toute contestation, en particulier les dénonciations de complots d’État, ne manquant pas de prendre de l'ampleur par temps de crise).
Le caché signifie ici que la vérité doit être cachée, parce qu'elle n'existe pas - le complotisme prétend qu'elle n'existe pas à l'état de visible. Le visible peut être vu de tous, quand le caché peut seulement l'être de peu : une telle configuration convient au complotisme. 
Le caché n'est l'explication que s'il désigne un lieu introuvable, un instant fantasmatique, la catégorie de l'inexplicable. En particulier, le complotisme repose sur la pseudo explication confondant ce qui est caché pour toujours (en l'occurrence, qui est seulement visible par quelques initiés supérieurs) et ce qui est caché, mais peut être vu. Le complotisme serait juste si la catégorie du caché pour la majorité des hommes existait. 
Que le caché existe au sens où l'homme ne peut apprendre ce que d'autres créatures savent, comme les anges, c'est envisageable (a fortiori pour Dieu, s'il est omniscient). Mais on voit mal comment certains hommes sauraient et seraient les seuls à savoir (dans la configuration complotiste, le surnaturel n'existe pas, nous nous trouvons dans une conception oscillant entre matérialisme et athéisme).
Comme le caché en fait n'existe pas, on en arrive à une "théorie" (celle du complot), qui relève de l'embrouillamini, aux antipodes de l’explication qu'il prétend apporter et de la manière dont fonctionne l'explication classique (consistant à rendre plus clair ce qui est confus la plupart du temps, voire à rendre visible ce qui était caché pour les cas les plus importants). Au final, l'inexplication profite aux plus forts (à l'ordre tyrannique ou à l'oligarchie, compatible avec la démocratie, qui alors tourne en démagogie), qui ainsi peuvent agir en toute impunité et en toute visibilité.

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