vendredi 28 avril 2017

La privatisation du monde

Nous assistons à la privatisation du pouvoir. Mais est-ce une dérive? L'existence de la volonté générale est-elle si irréfutable que le néo-libéralisme ait eu raison de privatiser le pouvoir?
L'homme a envisagé cette possibilité novatrice. Dans le schéma transcendantaliste, l'individu ne peut prendre en charge la gestion du privé, ce qui permet de défendre l'idée d'un collectif auquel, pour assurer la pérennité, on doit assurer une existence propre, même si elle est difficilement vérifiable.
Et si le néo-libéralisme (ou l'ultralibéralisme) ne constituait pas seulement un mouvement violent, tendant à détruire la volonté générale et toute idée du public - s'il exprimait une réaction outrancière dévoilant un processus historique plus général, dont le propre serait de rendre peu à peu caduque la volonté publique? 
Jusqu'à présent, aucune alternative sérieuse n'a été proposée à l'option de la volonté générale, sinon la subversion classique de l'idée de "bien commun" au profit d'oligarchies particulières, un retour aux sources qui ne dure jamais. Le néo-libéralisme exprime la tentation réactionnaire d'en revenir à un régime peu ou prou oligarchique (il prône ainsi une démocratie libérale aux mains des principaux intérêts oligarchiques), alors que la tentative de contestation du bien commun qui se laisse discerner ne pourra trouver de solution viable que si l'administration du bien commun cesse d'être effectuée par des individus.
En effet, ces derniers auront toujours intérêt à servir leurs intérêts particuliers avant l'intérêt général, ne serait-ce que parce que leurs intérêts sont bien concrets et réels, étant particuliers, quand l'intérêt générale n'a pas d'existence réelle vérifiable.  A partir du moment où il est une abstraction autant qu'un idéal, l'intérêt général ne peut jamais se présenter comme une existence indépendante, mais comme une existence dérivée, qui dépend des volontés particulières le constituant et plus encore des volontés de ses dirigeants. 
De ce fait, le péril réside avant tout dans l'impossibilité de se sortir de ce cercle vicieux oscillant entre oligarchie et tyrannie. Mais si l'on change les règles du jeu et si ce sont des robots qui administrent les affaires politiques? N'est-ce pas la garantie que la corruption n'existera plus et surtout que l'on n'aura plus besoin de volonté générale?
Les citoyens pourront faire toute confiance aux robots pour administrer leurs affaires. Il leur restera à se mettre d'accord sur les règles, mais dans des sociétés où les délibérations portent sur des problèmes privées et individuelles, plus sur des problèmes collectifs. 
Cela redessinera les contours de ce qu’on entend par la politique. La disparition de la volonté générale ne signifiera pas la fin des conflits, ce qui n'est envisageable que par la disparition totale et définitive des choses, mais la fin des conflits classiques en politique, imputables à la volonté générale, donc aux conflits d'ordre collectif.
Cette modification profonde de la conception de la politique engendrera des changements dans notre conception de la démocratie : si Platon estimait que la démocratie n'existait pas, c'est parce qu'il pensait implicitement que le peuple ne formait pas une volonté générale (sinon il n’aurait pas proposé son schéma de la république dirigée par des philosophes).
Qu'est-ce qu'une démocratie sans volonté générale? Un assemblage de citoyens. Pour l'instant, nous ne pouvons prétendre à cette utopie, qui flirte avec l'anarchie, mais nous y arrivons, non grâce à une prise de conscience nous rendant meilleurs, mais grâce au progrès de la science et de la technologie, à partir d'une certaine conception de l'homme, un être qui peut connaître (contrairement à ce que serine l'écologie).
Sauf que l'anarchie désigne l'absence de pouvoir, alors qu'on a là affaire à un pouvoir exercé par les robots, rendant possible l'absence de volonté générale et en remplacement, la vie d'individus séparés les un des autres. Mais l'étymologie de démocratie conviendrait bien mieux, non pas le dérivé qui signifie : "pouvoir du peuple", mais le plus littéral et originel "pouvoir du territoire".
Car la démocratie pour des individus et avec des robots en lieu et place d'hommes politiques administre, non plus un peuple, mais un territoire - par exemple une planète si l’aventure spatiale nous permet d'habiter sur des planètes en nombre suffisamment restreint pour que nous soyons libres.
Mais la véritable démocratie n'est pas quelques individus sur une planète avec des robots administrant les affaires publiques courantes, mais un individu sur une planète, entouré de robots et n'ayant plus besoin d'altérité. Dès lors, l'existence devient compatible avec la plus haute forme de la démocratie, où l’on remplace le peuple par un individu. 
La volonté générale n'existe pas, quand la seule volonté qui existe est individuelle. La démocratie ne concerne que l'individu seul si elle veut être démocratique. Les relations ne peuvent être sans conflit dans le cadre démocratique que si elles sont strictement individuelles (la question n'est pas d'envisager, sur le mode prospectif, les relations interindividuelles qui dans ce cadre seraient interplanétaires).
Fin provisoire de cette ébauche politique.

mercredi 12 avril 2017

La sémantique de l'unilatéralisme

Descartes a développé avec maestria une sémantique subjectiviste qui considère que notre capacité à faire sens suffit à fonder le véritable niveau de réel, et ce, de manière unilatérale. Alors que les commentateurs contemporains voudraient le rapprocher de Platon, pour des motifs subalternes, il a en fait renforcé la métaphysique de première mouture, telle qu'elle fonctionnait selon les principes du fondateur Aristote. 
La métaphysique 1 désigne la croyance selon laquelle le réel fonctionne sur des principes que dicte la subjectivité, mais à un niveau où la connaissance repose sur l'identité finie entre le sujet et son objet de connaissance; et la tâche dans laquelle se lance Descartes (en a-t-il conscience, ce trop bon élève des Jésuites?) consiste à renforcer ce dispositif devenu obsolète avec le triomphe de la révolution expérimentale, dont l'apport philosophique aura été de montrer que la méthode métaphysique produit une connaissance moins fiable que sa propre méthode. 
L'identité quand elle est comprise comme allant de soi à soi ne permet que de découvrir des agencements qui se limitent à obéir au principe de cohérence interne, selon lequel ce qui est réel fonctionne s'explique selon les principes sémantiques qui régissent le sujet. Or ces contenus sont finis et rationnels. 
La méthode cartésienne est ainsi un déploiement fini et rationnel, dont l'action ne dépassera pas la portée finie et rationnelle, donc ne pourra engendrer qu'une connaissance finie et rationnelle. La connaissance désignant pour Descartes plus l'ordre métaphysique que physique (s'il entend lier les deux, c'est à partir de la métaphysique, jugée supérieure, puisque venant de Dieu), là voilà qui devra se limiter au domaine fini de l'intériorité si elle veut perdurer (l'infini existe bien pour Descartes, mais à quel prix! - il est indéfini, donc inconnaissable, ce que lui reprochera Leibniz à juste titre dans les Remarques sur les Principes).
Descartes doit trouver une parade à l'innovation que la méthode expérimentale risque d'engendrer dans le domaine épistémologique et philosophique, constituant une menace allant jusqu'à éliminer la métaphysique. Pour ce faire, il n'y va pas par quatre chemins, n'hésitant pas à abolir l'identité sémantique qui avait cours jusque-là depuis l'Antiquité, au point qu'elle allait tellement de soi qu'on n'avait jamais songé à la remettre en question.
En lieu et place, il instaure la supériorité presque dissymétrique et déséquilibrante du cogito sur le réel extérieur. Descartes le dualiste ne prétend pas que le réel n'est pas connaissable, tout au contraire (ce serait la position sceptique au sens large, et il la réprouve).
Simplement, cette connaissance ne saurait s'effectuer au même niveau de certitude que la connaissance interne, propre au cogito. Cela signifie que la connaissance externe sera au mieux physique, alors que la connaissance interne sera d'ordre métaphysique, donc supérieure (ici on peut noter que le succès immédiat et inédit dont bénéficie Descartes dans le monde savant de son temps s'explique par le fait que la plupart des philosophes avaient besoin de cette révolution métaphysique pour contrer la révolution expérimentale).
Ce faisant, Descartes commet l'erreur de croire que la vérité s'obtient par l'adhésion à la sémantique, comme si faire sens suffisait à retrouver le réel tel qu'il est. L'erreur ultérieure de la philosophie, notamment de la phénoménologie, qui va s'embarquer dans des découvertes langagières virtuoses et improbables, sera de rechercher cette découverte du bon mot, en escomptant fermement que l'identité langage/réel débouchera sur une vérité définitive et effective...
Je pense notamment aux catégories logiques que Kant énonce savamment, avec une inventivité qui force le respect, alors que leur virtuosité langagière n'est pas coordonnées à leur effectivité réelle. Au final, ce n'est pas parce qu'on trouve un mot qui explique tout qu’on découvre la causse effective du réel, parce que le langage fonctionne de manière causaliste, au contraire du réel, et parce que le langage est calqué sur le réel d'une manière approximative et non exacte (de plus, l'approximation est adossée sur le nominalisme, ce qui implique que le langage se montre fin quand il traite de choses particulières et qu'il perd en netteté quand il s'engage dans la généralité, jusqu'à sombrer dans la franche confusion quand il entend déterminer l’ensemble du réel par une cause fantasmatique).
Le moyen dont nous disposons jusqu'à maintenant pour connaître remonte à la révolution expérimentale : il est de fonder cette entreprise sur le principe de réciprocité entre le sujet et son objet, d'où l'exigence d'un principe de vérification. En s'enfermant dans l'intériorité pour édicter le principe métaphysique supérieur, Descartes a développé une illusion de connaissance, selon laquelle la connaissance est fonction de l'inventivité du langage. 
Ainsi, si j'invente 80 catégories logiques pour expliquer le fonctionnement de l'esprit humain, et que ces catégories se montrent inventives et d'une rigueur intérieure impeccable, je peux espérer obtenir une renommée philosophique qui laissera entendre que j'ai fait mieux que Kant sur le sujet. Mais si j'ai fait mieux en termes d'inventivité sémantique, est-ce aussi le cas pour son objectivité?
A l’heure où se développent les sciences cognitives, on peut espérer que la connaissance du fonctionnement neuronal du cerveau permettra de découvrir que l'invention langagière ne permet pas de se substituer à la découverte scientifique d'une base physique (dans un sens qui sera nouveau et différent de ce qu'on entend aujourd'hui par physique). Dès lors, les inventions langagières passeront pour ce qu'elles sont : des approximations bien moins fiables que la méthode expérimentale.
D'une manière générale, le langage n'a pas de pouvoir pour découvrir le fonctionnement du réel, ni par la logique (qui est un critère insuffisant), ni par la création verbale ou sémantique, car on peut inventer quelque chose qui n'existe pas. Que la licorne soit le produit de deux animaux existants indique seulement qu'on ne peut créer ex nihilo.
Mais le langage peut se montrer tellement approximatif qu'il énonce des erreurs sous prétexte d'inventivité : en inventant la licorne, il peut produire un beau conte, mais s'il entend décrire une nouvelle race de cheval différant des races connues, il aura surtout dévoilé à quel point il s'est égaré, au point d'inventer un genre certes nouveau et différent, mais aussi inexistant.
Cela signifie simplement que le langage est le véhicule de la découverte philosophique, mais que la philosophie sera épistémologiquement plus cohérente quand elle sera capable d'asseoir sur la vérification réelle ses inventions, car le critère expérimental est supérieur au critère interne.
Quoi qu'il en soit, même si on objecte avec raison qu'à l'heure actuelle il nous faut bien continuer à faire de la philosophie quand on voit l’incapacité de la science à s'appliquer au domaine métaphysique (entendu en son sens étymologique, pas dans le sens aristotélicien, puis cartésien), l'inventivité langagière peut éviter l'erreur d'aiguillage cartésienne du mythe de l’intériorité (pour reprendre l'excellent titre de Bouveresse, qui montre que Wittgenstein a su prendre la mesure de l'erreur principale de Descartes), à condition qu'elle refuse l'internalisme et qu'elle propose des descriptions réelles, qui implique que la conscience soit plus performante quand elle sort d'elle-même que quand elle s'enferme dans sa tour d'ivoire.
Même si ces descriptions sont des intuitions avec tout ce qu'elles peuvent comporter d'approximatif, au moins sont-elles ce qu'on fait de mieux en ce moment, en attendant, non un résultat scientifique sous la forme que nous lui connaissons, mais un résultat scientifique ayant subi tous les changements que laissent augurer les recherches en sciences cognitives et neurologiques, et bien entendu la capacité encore inconnue à appliquer des méthodes de connaissance supérieures à l'ensemble du réel, ce qui implique à des dimensions qui ne sont pas physiques.
Pour l'heure, nous pouvons continuer à pratiquer la connaissance philosophique adossée sur le langage en rompant avec la métaphysique selon ses deux moutures. Nous pouvons ainsi décrire des objets extérieurs qui nous dépassent de beaucoup en recourant à l'intuition originelle, qui nous permet d'embrasser de manière fulgurante un objet, y compris quand il nous dépasse, et nous l'habillons ensuite d'atours logiques et rationnels qui laissent croire que
Pour l'heure, nous sommes face à la meilleure connaissance générale. Et nous ne pouvons nous comporter comme des sceptiques, qui prétendent que si la meilleure connaissance n'existe pas, nous devons nous montrer indécis et indifférents, car nous avons l'obligation de connaître si nous voulons posséder un cadre de référence strict, comme nous en éprouvons le besoin exprès.
Descartes a développé l'alternative à l'effondrement de l'aristotélisme la plus facile à défendre : le subjectivisme, qui pourrait être plus universel que la méthode expérimentale. Mais cette alternative s'est effondrée depuis l'avènement pour le moment balbutiant des sciences cognitives. Au moins Descartes passera-t-il pour un pionnier, ce qui n'est pas le cas de la plupart qui l'ont suivi et se sont embarqués dans ses erreurs.

mercredi 5 avril 2017

L'indépassable du négatif

Ce qui engendre la reconnaissance du négatif, c'est qu'il permet de figer le réel, de donner l'impression que l'entendement a saisi quelque chose dans la sarabande effrénée qui caractérise notre expérience du réel et qui empêche que nous puissions détenir le réel. Au moins l'approche du négatif a-t-elle permis de saisir du réel, à défaut de réel dans son intégralité (exemple paradigmatique avec le cas Schopenhauer). 
Après la philosophie de Platon, dont la noblesse hautement idéale peine à saisir le réel dans sa toute-positivité, le geste d'Aristote rend le négatif populaire dans l'histoire de la philosophie, en ce qu'il lui donne une postérité pour la pensée monothéiste. Le propre de la métaphysique est ainsi d'estimer que le négatif peut être du positif, à partir du moment où elle énonce que le positif s'obtient par le négatif.
Aristote n'obtient l'être fini qu'en le bornant et bordant de non-être. Du réel ne s'obtient que par le travail de limitation du négatif (et encore, on ne trouve que du réel, pas le réel). Descartes approfondit ce geste en empêchant que la métaphysique devienne manifestement fausse, comme c'est le cas à partir de la révolution expérimentale, qui sanctionne l'approche erronée de tous les métaphysiciens, quels que soient leurs mérites interprétatifs.
Pour ce faire, Descartes choisit le négatif qui est propre à l'univers du jugement, le doute. Comme tout terme négatif, le doute est un état transitoire à l'intérieur d'une faculté positive. Il doit mener au positif. 
Or Descartes lui confère une valeur qui est plus que transitoire, au sens où il prétend obtenir la vérité (le positif) à partir de lui. S'en suit une incohérence née de ce choix du doute comme critère de sélection, qui engendre un manque dans la logique générale du raisonnement.
Du coup, Descartes doit réintroduire le néant (également le manque ou le défaut) en plus de l'infini parfait (Dieu), comme si cette coexistence était possible. C'est dire que Descartes estime que la conformation du réel dépasse les lois de la logique et qu'il n'est pas possible de comprendre le réel, au-delà du constat selon lequel notre entendement n'est pas capable de comprendre comment fonctionne le sens instauré par Dieu autrement que sous la forme du paradoxe précisément, ce qui constitue l'expression archétypale du négatif. 
Donc Descartes en reste lui aussi au négatif et estime que le métaphysicien ne peut aller au-delà du négatif, ce qui signifie que la raison humaine est négative de part en part, donc qu'il existe une positivité du négatif qui rend possible le déploiement du raisonnement et qui légitime la principe de contradiction derrière l'affirmation de la cohérence à tout crin. 
Le négatif n'est pas seulement l'expression de la partie, du réel dans son ensemble si on prend l'acception la plus générale; il est aussi le refus de la preuve, puisqu'au final, si la philosophie de ce type accepte des vérifications intermédiaires, c'est à la condition expresse, et à la limite indicible, que le fondement soit lui indémontré et indémontrable (Dieu peut commettre l'impossible, dit Descartes). 
Le négatif est dans le langage la limite qui ne peut être expliquée, l'idée selon laquelle il faut toujours édifier le positif sur du négatif, qu'il n'est pas possible de faire autrement. C'est la grande idée sur laquelle s'est édifiée la pensée : qu'il n'est pas possible d'échapper au négatif et donc qu'il n'est pas vraiment de positif autrement qu'incompréhensible et inexplicable. 
Aristote renonce ainsi au positif, puisque son Premier Moteur est une idée pleine de questions et de problèmes; Descartes surgit pour expliquer que Dieu est fondamentalement inexplicable, puisque capable de lever le principe de non-contradiction et de rendre possible l'impossible, rationnel et réel le miraculeux.
Mais n'est-ce pas toute la philosophie qui fondamentalement s'avère incapable d'accéder au positif, à partir du moment où elle se montre rationaliste? Le transcendantalisme fonctionne sur l'idée selon laquelle il existe autre chose de supérieure au rationnel humain : le divin, qu'il soit rationnel ou non, suivant les hypothèses.
Le positif est ainsi extra-humain ou n'est pas. Dès lors, la philosophie est forcément négativiste, et elle est obligée de se fonder sur le négatif, tout comme elle est obligée de le cacher, plus ou moins, sans quoi elle en ressortirait discréditée.
Raison pour laquelle la philosophie ne parle jamais du vrai nihilisme, qui ne désigne pas cette idéologie destructrice de la fin du dix-neuvième, un mouvement au fond destiné à vite disparaître - mais la part autrement plus importante de la pensée humaine, qui excède de loin la philosophie, qui s'y retrouve à chaque fois que l'on parle de néant ou de paronymes, cependant, et qui se pose comme la religion de la négation de la religion. L'histoire du nihilisme ainsi entendu est bel et bien à faire, car il repose sur l'implicite. 
J'ajoute que des philosophes comme Nietzsche ont pu sembler donner une définition philosophique du nihilisme, le dernier homme du vingtième siècle en gros, mais, outre que Nietzsche n'a pas compris que le nihilisme qu'il projette sur le futur exprime en fait sa propre philosophie - il n'a pas compris pourquoi son projet est nihiliste. 
C'est parce qu'il exprime, singulièrement dans la perspective immanentiste moderne initiée par Spinoza, le nihilisme comme tendance fondamentale de la pensée humaine, celle-ci se débattant entre deux contraires, le transcendantalisme et l'immanentisme. Il n'en est qu'une des expressions contemporaines, et non pas comme il l'imaginait dans sa mégalomanie outrancière le couronnement extatique (tout chez Nietzsche s'avère toujours outrancier, grandiloquent, voire histrionique, car il est victime de pulsions maniques caractérisées).
On peut définir le nihilisme comme l'idée selon laquelle on ne saurait dépasser le négatif. A ma connaissance, seul Schopenhauer et Gorgias l'ont professé explicitement, les autres s'en accommodant plus ou moins implicitement - exemple : Descartes déclare sans peur de l’incohérence que le néant existe seulement dans le langage, mais pas dans la réalité, ce qui impliquerait que l'erreur est déconnectée de la réalité.
Mais tous ont dû l'incorporer dans leur philosophie, même celle de Platon qui essaie de définir le non-être comme l'autre, sous la forme de l'infini, ce qui indique qu'on reconnaît que le fini est partiel, qu'il existe autre chose que lui, mais sans pouvoir réussir à le définir. 
Les plus imprégnés de nihilisme professent explicitement l'existence du vide, que ce soit de manière franche, comme c'est le cas de Gorgias ou Démocrite, ou de manière plus discrète, comme c'est le cas d'Aristote, qui passe pour le rationaliste par excellence, alors qu'il déclare, en tête de sa Métaphysique, mais seulement en tête, que l'être est multiple et coexiste en étroite connexion avec le non-être, qui est tout aussi multiple, quoique incompréhensible, donc irrationnel.